Libération de Vénissieux

… »Notre ville ne serait pas ce qu’elle est, sans son passé, sans ce qu’elle a enduré pendant la seconde guerre mondiale. On dit de Vénissieux qu’elle est rebelle. »…

Imagine-t-on leur joie teintée de soulagement, et de peines aussi ? Imagine-t-on la délivrance, que les Vénissians ont ressentie, ce 2 septembre 1944, lorsque le drapeau tricolore a été hissé sur le fronton de l’Hôtel de Ville ? Cette émotion leur appartient, mais il est de notre devoir de s’en souvenir, de l’approcher, de la partager, de la prolonger ?

Leur histoire est notre histoire, pas simplement par appartenance à un territoire commun, Vénissieux, mais par le prolongement d’un récit collectif, qui dépasse le cadre d’une époque.

Notre ville ne serait pas ce qu’elle est, sans son passé, sans ce qu’elle a enduré pendant la seconde guerre mondiale. On dit de Vénissieux qu’elle est rebelle.

Est-ce un hasard, si ce 2 septembre 44, les Vénissians se sont libérés par eux-mêmes, avant l’entrée des troupes alliées dans l’agglomération lyonnaise ? N’y a-t-il pas ainsi, des racines communes entre le passé et le présent, dans cette façon de vivre, et d’être vénissian, de résister aux forces occupantes hier, à l’ordre établi et à l’injustice aujourd’hui ?

Pendant cette guerre atroce, au cours de laquelle, jamais l’homme n’avait poussé, aussi loin les limites de la barbarie, Vénissieux a souffert. Elle a souffert physiquement, à travers des destructions importantes, et elle a souffert dans les cœurs, avec toutes ces familles meurtries, endeuillées, à qui il manque un frère, une sœur, une mère, un père, un oncle, un voisin. Le monstre du nazisme, et de la pensée d’extrême droite a semé, l’horreur et l’effroi, sur tout le Vieux Continent.

Souvenons-nous, de cette phrase de Primo Levi, rescapé du camp d’extermination d’Auschwitz, j’ouvre les guillemets : « On a inventé au cours des siècles, des morts plus cruelles, mais aucune n’a jamais été aussi lourde de mépris et de haine ».

Souvenons-nous, de Charles Jeannin, puisque nous sommes de Vénissieux, souvenons-nous de sa volonté de fer, et de son caractère si vénissian, qui lui font emprunter le chemin de la résistance à l’âge de 16 ans.

Souvenons-nous de son arrestation, de la prison Saint-Paul, du camp de Compiègne, avant de passer derrière les portes du cauchemar, Dachau. Il a fait de sa survie à l’innommable, un legs, et donner un sens profond à sa vie : transmettre l’indicible, à des générations d’enfants, de Vénissieux. Ses phrases, écoutons-les, résonnent encore dans notre mémoire, et prennent racine dans notre temps présent.

« Certains diront : à quoi bon ? Mais les déportés ne peuvent pas oublier, et le pourraient-ils, qu’ils n’en auraient pas le droit. Ils savent que le nazisme n’est pas mort, que le crime peut encore se produire. Oublier, ce serait trahir le serment que nous avons fait au jour de notre libération : plus jamais ça ! ». A l’image de Raymond et Lucie Aubrac, les mots que ces passeurs ont semés, auprès de toutes les générations d’après-guerre, c’est à nous aujourd’hui, qu’ils échoient, à nous de les prendre en main, de les incarner, et de les faire vivre.

Ce 2 septembre 44, Vénissieux se réveille groggy, mais libéré. Notre ville a payé un lourd tribut, à la seconde guerre mondiale : les bombardements alliés, de mai 44, vont provoquer la mort de 28 personnes au Charréard, rue Paul Bert, et dans le vieux village, et quelque 600 blessés. La stratégie du tapis de bombes, fait d’énormes dégâts collatéraux. Il faut en finir avec cette guerre, et l’occupation allemande, en finir au plus vite. L’activité industrielle de notre ville et la prise de position de la famille Berliet en font une cible privilégiée.

La cité Berliet, est réduite à un champ de ruines. Vénissieux, est la ville du Rhône, ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains. La stratégie consiste à couper les axes de communication, du transport ferroviaire, et d’affaiblir la production  industrielle de la région lyonnaise. Immeubles endommagés : 800. Immeubles totalement détruits : 140. Grandes usines endommagées : 10, plus 2 totalement rasées. Petites usines endommagées : 15. Petites usines complètement détruites : 8.

L’usine Sigma, est elle aussi visée, Vénissieux est détruite à 50%. La Ville reçoit à ce titre, la Croix de Guerre en 1945. C’est à Saint-Fons, et à Vénissieux que le bilan des bombardements est le plus lourd : entre 12 et 20% des habitations rasées, quand la commune de Lyon ne perd, entre guillemets, que 2% de ses immeubles.

Lourd tribut encore, et toujours. A quelques jours de la libération, les combattants des Groupes Francs, tombaient devant la porte B Usine Marius Berliet, fusillés par les troupes allemandes qui y stationnaient.

Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Membre du groupe Carmagnole-Liberté, Marcel Fermigier, ouvrier à Saint-Gobain, tombe lui, ce 2 septembre 44.

Le prix de la libération, est terrible bien sûr, mais il n’est rien, si on le compare aux quatre années de vie, sous le Régime de Vichy, sous le régime de la soumission, et de la collaboration. En pactisant avec l’ennemi, une grande partie du patronat, (la famille Berliet, Louis Renault…) a commis l’irréparable, et fait le choix que les intérêts particuliers, étaient supérieurs à l’intérêt général, que les affaires passaient avant la République.

Une collusion inexcusable, car passer un pacte avec Pétain, c’était passer un pacte avec les milices de Pucheu, qui traquaient les syndicalistes et communistes, les faisaient interner, voire même pour certains guillotiner ou fusiller. Tous ceux qui ont résisté dans notre ville, ont dû faire preuve d’un courage incommensurable. Vivre dans la semi-clandestinité, vivre avec la peur qu’un traître vous dénonce, vous et votre famille.

Vivre avec ses idées, qui risquent de vous envoyer dans la prison de Montluc. Cette prison est pour Lyon, et toute la région, la principale porte d’entrée vers la déportation, et les exécutions.

Prison militaire du régime de Vichy de 1940 à 1943, réquisitionnée par l’occupant nazi à partir de janvier 1943, et ce jusqu’au 24 août 1944. Montluc aura été le lieu d’internement, de près de 10 000 hommes, femmes et enfants durant l’occupation allemande, et notamment des enfants d’Izieu, de Jean Moulin, et de Marc Bloch. Dans ce cadre de répression, d’arrestation, de tortures, et de procès sommaires, la moindre opposition pouvait faire basculer la vie de chacun.

A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, futur Veninov, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, oui, il fallait oser s’opposer à la mise en place du STO, aux ordres de réquisition, quand le préfet de région, n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social. L’ancien maire destitué, Ennemond Roman, sera interné à la prison Saint-Paul, Louis Dupic, futur maire, transféré dans un camp du Sud algérien. Georges Roudil, secrétaire de la section communiste, sera livré aux allemands, et déporté au camp de Buchenwald, Charles Jeannin, connaîtra l’enfer de Dachau.

Les frères Amadéo, les frères Lanfranchi, Francis Paches, et tous les autres, anonymes, jeunes ou adultes, ont défendu Vénissieux, la liberté et la République. Cette liberté, ils l’ont défendue au-delà de leur proche environnement, dans des territoires, des reliefs, des paysages où l’histoire qui s’écrit et les réseaux de la résistance les ont emmenés. En témoigne cette plaque du mur des fusillés à Saint-Nazaire en royans où figure le nom d’un frère Amadéo, Louis, mort à dans les contreforts du Vercors.

Qu’ont-ils fait revivre, si ce n’est le modèle social français, dont toutes les générations vénissianes d’après-guerre ont profité.

Au-delà des douleurs, et des drames, c’est aussi à Vénissieux qu’une lueur, et une page d’espoir allaient voir le jour. Une page improbable, une page en forme de symbole de ce que les hommes soudés, par l’esprit de résistance peuvent accomplir.

Alors que Vichy allait commettre l’irréparable, en procédant à la déportation des juifs de France, vers les camps de la mort, des hommes et des femmes, qu’on peut appeler des Justes, des personnalités religieuses, des militants politiques et progressistes, comme le futur sénateur communiste Charles Lederman, des membres d’organisations comme l’Amitié Chrétienne, la Cimade, l’œuvre au secours des enfants, et l’oeuvre du service social des étrangers ont réussi à exfiltrer, 108 enfants juifs du camp de Bac Ky. Ces enfants étaient promis à la mort, à Auschwitz ou ailleurs, ils seront des miraculés.

Ils porteront bien sûr une souffrance, cette douleur terrifiante, d’être séparés de leurs parents qu’ils ne reverront pas, signant des actes de délégation de paternité, pour laisser partir ce qui leur est le plus cher avec des inconnus, pour que ces 108 enfants continuent, eux, de vivre. Dans la nuit du 28 août 42, il s’est joué à Vénissieux, plus qu’un sauvetage d’enfants, l’un des plus importants en France, il s’est joué une question de dignité humaine, de refus de participer, ou d’être complice, d’une entreprise génocidaire.

« Le sauvetage de Vénissieux a changé le cours de l’histoire, et freiné la déportation », déclarait dans les colonnes du Progrès, en mai dernier, Serge Klarsfeld, avocat et historien. Et de poursuivre : « Le cardinal Gerlier a couvert l’opération. Sa rencontre orageuse, avec le préfet Angeli sera suivie d’effets. Le 1er septembre 42, Laval dira aux Allemands, l’impossibilité de livrer 1000 juifs chaque jour jusqu’au 31 octobre. C’est un coup d’arrêt à une déportation massive ». Il faut féliciter  et saluer le travail remarquable  de l’historienne Valérie Perthuis-Portheret.

Elle a mis en lumière les faits, et les événements du camp de Bac Ky, et leur a donné une résonance insoupçonnable. Des investigations remarquables, déterminées, persévérantes, qui ont permis à l’historienne de découvrir, il y a quelques mois à peine, 14 clichés uniques de ce camp d’internement.

Révéler ces photos, c’est restituer une mémoire, attribuer des corps, des visages à des personnes juives, qui étaient jusqu’alors restées anonymes, certaines malheureusement exterminées à Auschwitz, d’autres sauvées in extremis de la mort.

Ce que nous commémorons, lors de l’anniversaire de la libération de Vénissieux, c’est l’histoire sous tous ses prismes, et dans tous ses récits : les drames, les combats, les solidarités, les résistances aux idées nationalistes et d’extrême droite, qui ont mené le monde à sa perte. Ce sont les vies sauvées des enfants de Bac Ky, et les valeurs de fraternité et de liberté, sauvées par la Résistance. C’est vivre en République, quand nos aînés se sont battus, pour la faire renaître.

Avec le camp d’internement des juifs, puis le camp de prisonniers allemands, à la sortie de la guerre, avec ces nombreux ouvriers des usines locales, engagés dans le maquis de l’Azergues, la seconde guerre mondiale a marqué notre ville, et y a laissé une empreinte indélébile. S’en souvenir, c’est prévenir le pire, et faire en sorte que les leçons de l’histoire, sèment l’espoir.

Je vous remercie.

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