Commémoration du 8 mai à Renault Trucks

… »Dans le creuset que nos aînés nous ont laissé, des solutions sont à portée de main, en chacun de nous pour construire, après la pandémie, de nouvelles solidarités. »…

Comparaison n’est pas raison, la crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui, ne saurait être mise en parallèle, avec ce que nos aînés ont connu en 39-45. Il n’empêche, au point le plus aigu, il nous faut nous réinventer, repenser le monde à l’aune des épreuves subies.

L’épidémie de la Covid-19 laissera des traces profondes, sociales, économiques, politiques, culturelles également, dans nos gestes les plus communs : la contrainte de la distanciation physique, la perte du toucher, l’évitement, l’appréhension du groupe.

Tout réapprendre et tout réinventer. Nous savons que son empreinte a bousculé nos pratiques éducatives, pédagogiques, elle a touché cet exercice qui nous est cher, le travail de mémoire.

Depuis plus d’un an, notre ville continue de marquer de la façon la plus objective possible, les grandes dates qui fondent et scandent l’histoire de notre pays, dans ses heures les plus glorieuses, comme dans ses heures les plus sombres.

Par respect de contraintes sanitaires nécessaires, ces commémorations, malheureusement, ont eu lieu sans public, sans les enfants des groupes scolaires de Vénissieux, sans les jeunes élus du CME. Ce qui s’est perdu de façon provisoire, c’est la notion de transmission et de proximité, car si les possibilités du numérique nous ont permis d’être réactifs, elles ne peuvent se substituer à la présence humaine, à l’échange entre les générations.

Se retrouver ensemble aujourd’hui, est autant une satisfaction qu’un immense soulagement, même si la crise sanitaire n’est pas terminée, et les crises économique et sociale déjà parmi nous.

Le temps présent ne doit pas tout accaparer, et nous devons savoir nous retourner sur le passé, retrouver les racines de ce que nous sommes, et renouer avec le récit que notre ville écrit jour après jour.

Quand les combats cessent ce 8 mai 45, le Vieux Continent est en ruines. Le choc est physique, politique, il est aussi culturel.

Il est impensable et innommable, et sa matière irradiante continue plus que jamais, de nous questionner. C’est une rupture de civilisation que le Nazisme a provoquée. N’oublions jamais cette leçon de l’histoire : c’est en détruisant les solidarités, dans le monde du travail notamment, que le 3ème Reich a fini par abattre sa main de fer. Perquisitions, arrestations, précèdent l’interdiction des partis de gauche, et les descentes répétées contre les communistes en mars 33, les syndicalistes en mai, et enfin les sociaux-démocrates en juin.

En mai 33, 50 000 opposants se trouvaient déjà en camp de concentration, en majorité des communistes. Et à l’été 34, près de 200 000 hommes et femmes, avaient été broyés par la terreur nazie.

Dans le cas du nazisme, la rationalité politique et industrielle se construit, à partir d’une vision réactionnaire d’un monde antimoderne, et du mythe de « La grande Allemagne », de « L’homme nouveau », tous deux opposés à l’esprit des Lumières. C’est ce que Goebbels baptisera « le romantisme d’acier ».

Sur tous les continents, des massacres, et les frontières de la barbarie sans cesse repoussées, par l’industrie de la mort, par une destruction fondée sur la technologie.

La mort n’est plus héroïque ni identifiée, elle est une mort anonyme de masse. Le bilan est effroyable : entre 50 et 70 millions de morts, soit plus de 2% de la population mondiale, c’est l’estimation la plus répandue, qui en fait le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité. Les pertes touchent plus les civils que les militaires.

40 à 52 millions de morts, y compris 13 à 20 millions de maladie ou de famine. Les pertes militaires s’évaluent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre, morts en captivité.

Ici, à la porte B Usine Marius Berliet,  une leçon nous a été donnée. Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Ils ne sont pas morts pour rien, ils sont morts pour notre liberté, ils sont morts pour que l’on retrouve le temps de la paix.

Ce lieu est un lieu de la résistance, d’hier et d’aujourd’hui.

Personne ne peut l’oublier, car tout le monde doit en avoir conscience : la bête immonde n’est jamais terrassée, elle peut renaître, et redresser à nouveau les hommes contre les hommes.

Ici, il y a plus de 70 ans, les combattants des Groupes Francs tombaient devant ces murs, fusillés par les troupes allemandes qui y stationnaient.

Forces de vie et forces de mort n’ont jamais cessé de se combattre, dans cette période si douloureuse.

Force du courage contre force de la résignation, de la démission, de la compromission de Pétain et de Vichy.

Cet éclat de vie, il eut lieu aussi à Vénissieux, au cours du plus grand sauvetage d’enfants juifs en France. Exfiltrés du camp de Bac Ky à l’été 42, 108 d’entre eux et plusieurs centaines d’adultes, échapperont aux camps de la mort. Vénissieux a souffert, mais Vénissieux a su rester solidaire, humaine, résistante. Oui, elle a plié un genou, car Vénissieux a été, après Lyon, la ville du Rhône ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains.

Mai 44, les armées allemandes reculent, prises en étau, il faut en finir avec l’ignominie nazie, et le cauchemar pétainiste. Un tapis de bombes va s’abattre sur l’agglomération lyonnaise, et plus particulièrement à Vénissieux. Notre ville est un cœur de cible, par son nœud ferroviaire de lignes vers Paris, Marseille, l’Italie de Mussolini, et par l’implantation d’un fort tissu industriel, dont les usines Berliet qui ont rallié le camp de Vichy, et livrent des camions aux allemands. Le Charréard, la rue Paul-Bert, le vieux village sont touchés, la cité Berliet en ruines.

Le bilan s’alourdit : aux cinq morts du bombardement de mars 44, s’ajoutent 28 morts et 66 blessés. Les 25 et 26 mai, les bombardements redoublent de puissance. Avenues de la République et Francis-de-Pressensé, dans le quartier Moulin-à-Vent, à la gare, à l’Arsenal, les destructions se multiplient et 23 nouvelles victimes sont à déplorer.

Immeubles endommagés : 800

Immeubles totalement détruits : 140.

Grandes usines endommagées : 10, plus 2 totalement rasées.

Petites usines endommagées : 15.

Petites usines complètement détruites : 8.

Quasiment la moitié de Vénissieux est partiellement, ou totalement rayée de la carte. Aux bombes ennemies se sont ajoutées les bombes amies. Vénissieux recevra à ce titre, la Croix de Guerre en 1945.

Le prix de la liberté, le prix de la fin de Vichy, le prix de la capitulation sans condition des armées nazies, est terrible, à Vénissieux, comme partout dans le monde.

Mais il était aussi un passage obligé, pour retrouver le chemin de la démocratie, après l’avènement et le chaos, engendré par le fléau du national-socialisme.

En 40, 41, 42, quand on s’engageait dans la Résistance, nul ne savait comment on en sortirait. Vainqueurs ou vaincus ? Vivants, torturés, déportés ou morts ? Un saut dans le vide existentiel, hors norme.

Le courage, l’incroyable courage, était le métronome du coeur et du combat.

Ces hommes et ces femmes, tous ceux qui ont contribué à la naissance du CNR, voulaient libérer le pays physiquement, mais aussi le modifier politiquement, et en profondeur.

Malgré la menace, ils ont imaginé une France différente, et oeuvré pour son retour dans le giron de la République. Le contrat social, qui est toujours le nôtre, était né.

Cette leçon inoubliable doit nous servir aujourd’hui, pour imaginer à notre tour, un autre monde, un autre paradigme que le libéralisme qui nous pousse vers le précipice, et renouer avec une France beaucoup plus solidaire, entre les riches et les plus modestes, entre le pouvoir centralisé et décentralisé, entre tous nos territoires.

Dans le creuset que nos aînés nous ont laissé, des solutions sont à portée de main, en chacun de nous pour construire, après la pandémie, de nouvelles solidarités.

Je vous remercie.

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