Guerre 1914-1918, centenaire de l’ Armistice

… »En quatre ans, 18 millions de personnes vont perdre la vie, 10 millions de soldats, et plus de 8 millions de civils, pris pour cibles pour la première fois, dans le cadre d’un conflit armé. »…

« Joli soleil, temps tiède, ciel bleu avec des brumes légères », écrit l’écrivain Paul Truffau, dans son Carnet d’un combattant, à la date du 11 novembre 1918.

La mélancolie des mots choisis donne le ton de cette journée si particulière. Il y a 100 ans exactement, jour pour jour, dans la clairière de Rethondes, était signé l’armistice entre l’Allemagne et les alliés. Dès 11h00, le cessez-le-feu est effectif, les cloches sonnent dans tous les villages de France, mais il n’y a pas de scène de liesse, à l’exception des grandes villes comme Paris et Londres.

Un poilu avait témoigné du climat étrange qui régnait alors, j’ouvre les guillemets : « Vous dire quel soulagement fut le nôtre est impossible, c’était plutôt quelque chose qui ressemblait à de la stupeur ».

Un autre renchérit : « On est à moitié ahuri. Le contentement est peint sur les visages ; il y a une détente de nerfs générale, mais pas d’explosion de joie ».

Il ne faut pas oublier que l’année 1918, a été une année de combats, durs, meurtriers, d’offensives allemandes et de contre-offensives des troupes alliées, une année de peurs et d’inquiétudes.

Des obus tombent sur Paris, provoquant le départ d’un demi-million de Parisiens. Cette guerre n’en finit pas, elle use, détruit, mutile, tue par dizaine de milliers les jeunes générations, enterrées vivantes dans les tranchées.

Il faudra attendre août et septembre 1918, pour que les autorités allemandes se résignent à envisager la fin des hostilités. Et il faudra attendre le 11 novembre à Rethondes, dans la forêt de Compiègne, pour que le maréchal Foch signe l’armistice avec l’Allemagne, représentée par le secrétaire d’état Matthias Erzberger.

Le cauchemar prend fin, même si la guerre continue en Grèce, Turquie, Irlande, et dans de nombreux territoires coloniaux.

Le monde sort ahuri du déchaînement de violence, que personne n’a vu venir, à l’exception de quelques-uns, et qui s’est abattu en France, sur le Vieux Continent, avant d’embraser la planète.

Alors, ce 11 novembre 1918, le soulagement l’emporte sur la joie, la stupéfaction sur l’exaltation.

Comment se sentir heureux, libéré, à l’aune d’un massacre sans précédent et de pays anéantis ?

La déflagration est double : elle interroge les politiques impériales et nationalistes, qui vont précipiter le monde dans le chaos, et elle questionne aussi la nature de l’homme, jeté en pâture aux marchands de canon, réduit à un matricule figé dans la boue des tranchées, dans l’attente d’une mort annoncée. Jamais pareille onde de choc n’avait été enregistrée.

En quatre ans, 18 millions de personnes vont perdre la vie, 10 millions de soldats, et plus de 8 millions de civils, pris pour cibles pour la première fois, dans le cadre d’un conflit armé.

Théâtre de combats sanglants, la France va payer un lourd tribut : 1,4 million de ses soldats vont mourir, soit un quart des 18-27 ans !

À cette génération sacrifiée et massacrée, il n’y a pas d’autre mot, s’ajoutent 300 000 morts civils, 240 000 victimes de la grippe espagnole, et plus de 4 millions de blessés et mutilés. Parmi ces derniers, on compte près de 15 000 gueules cassées, dont le quotidien sera un véritable calvaire.

Leur retour dans la société française, va agir comme un refoulé de ce qu’on ne veut pas voir, et comme un marqueur terrible de la férocité des combats de tranchées.

Tous feront part, d’une exclusion sociale injuste, condamnés à de longs séjours dans les services hospitaliers, ou au port de prothèses de camouflage. Il faudra attendre 1927, pour qu’un centre d’accueil des défigurés de la grande guerre, soit créé.

Le désastre humain se retrouve dans la pyramide des âges, avec une démographie présentant un déficit de naissances, estimé à 1,7 million dans un pays déjà touché, par une natalité en berne.

Rendez-vous compte : plus d’un million d’enfants de 1914, ne reverront jamais leur père, et parmi la population féminine, on dénombrera plus de 600 000 veuves, à la sortie de la guerre. Le pays est à genou, meurtri humainement, détruit économiquement.

3 millions d’hectares de terres agricoles, 60 000 kilomètres de routes, 3 000 kilomètres de voies ferrées, 2 000 kilomètres de canaux sont détruits. 550 000 maisons et 20 000 édifices publics, sont à terre.

Dans la France agricole de l’époque, 1 200 km2 sont déclarés impropres à l’agriculture, les sols contaminés par les produits toxiques, bombardements et cadavres en décomposition, que laisse derrière elle cette guerre immonde. Dans le nord et l’est du pays, les forêts ont disparu, sous le feu de l’artillerie, la production industrielle a chuté de moitié, et elle ne retrouvera son niveau d’avant-guerre, qu’en 1924. Une partie de la France est bel et bien à reconstruire.

Malgré les témoignages, malgré les images, on ne pourra jamais imaginer, ni même ressentir, ce que les poilus ont enduré.

Eux, ce sont des jeunes, venus de toutes les régions de France, mais aussi tous les tirailleurs algériens, cambodgiens, kanaks, malgaches, sénégalais, tunisiens, tahitiens, marocains, contingents issus de l’empire, envoyés dans l’enfer des tranchées.

Pour la première fois de leur histoire, les hommes sont dépassés, par les armes que l’industrie militaire invente, fabrique, et utilise. Un sentiment d’impuissance, de fatalité et de lassitude, gagne les rangs de soldats épuisés. L’utilisation des gaz au chlore et gaz moutarde, fait de la guerre 14-18, une guerre chimique, provoquant la mort de 90 000 militaires.

On estime que plus d’un million de soldats, ont été exposés à ces armes de destruction massive, qui vont ouvrir la voie aux massacres des populations civiles, tout au long du 20ème siècle et, malheureusement, du 21ème siècle.

Mais c’est peut-être dans les mots des poilus, dans leur quotidien, que l’effroi de cette guerre nous prend à la gorge. Tous témoignent d’un monde désincarné, déshumanisé, d’un monde insoutenable.

Dans son livre, Les croix de bois, Roland Dorgelès décrit, avec des mots terribles, non pas un combat, mais un véritable enfer.

J’ouvre les guillemets : « Sans regarder, on sauta dans la tranchée. En touchant du pied ce fond mou, un dégoût surhumain me rejeta en arrière, épouvanté.

C’était un entassement infâme, une exhumation monstrueuse de Bavarois cireux sur d’autres déjà noirs, tout un amas de chairs déchiquetées, avec des cadavres qu’on eût dit dévissés, les pieds et les genoux complètement retournés, et, pour les veiller tous, un seul mort resté debout, adossé à la paroi, étayé par un monstre sans tête.

On hésitait encore à fouler ce dallage qui s’enfonçait, puis, poussés par les autres, on avança sans regarder, pataugeant dans la Mort… »

La boue, le froid, la faim, l’incertitude, la maladie, accompagnaient ces journées sans fin.

Un capitaine du 33ème Régiment d’Infanterie, écrit dans une lettre du front : « Nous vivons ici dans une boue immonde. Il tombe sans cesse des pluies diluviennes et, lorsque le soleil luit soudain, des mouches infectes bourdonnent sur le charnier humide, où ont été creusés nos abris et nos tranchées.

La glaise des boyaux est remplie de cadavres momifiés, allemands et français, qui se confondent avec la teinte neutre des choses, parmi les armes brisées et les épaves, dont le sol de cette région est resté jonché, depuis les furieux combats de 1916. »

Ces conditions inhumaines modifient l’homme en profondeur, et la représentation du monde qu’il s’en fait.

Certains, au fond des tranchées, s’interrogent : « Et perdant notre dignité, notre conscience humaine, nous n’étions plus que des bêtes de somme, avec comme elles, leur passivité, leur indifférence, leur hébétude. »

Henri Barbusse, dans Le feu, journal d’une escouade, résume, ce que la 1ère guerre mondiale a fait d’une génération entière, de ces jeunes, que les impérialismes ont poussés vers la mort : « Ce sont de simples hommes qu’on a simplifiés encore, et dont, par la force des choses, les seuls instincts primordiaux s’accentuent : instinct de la conservation, égoïsme, espoir tenace de survivre toujours, joie de manger, de boire et de dormir. »

À la lecture de ces conditions, comment, aujourd’hui en 2018, ne pas s’étonner, que le sort des fusillés pour l’exemple, n’ait toujours pas fait l’objet, d’une réconciliation nationale d’ensemble. C’est une cause juste, que je soutiens, et qui permettrait à de nombreuses familles, d’appartenir enfin, à l’histoire partagée de notre pays. Un siècle après, 14-18 reste toujours un conflit à part, dans notre mémoire et imaginaire collectifs. Au nom de quoi ces hommes sont-ils morts ?

Où ont-ils trouvé la force morale, pour tenir le coup et braver la peur dans des conditions cauchemardesques ?

Ni guerre de libération, ou de lutte contre les totalitarismes, ce conflit horrible, ce chaos ahurissant, est le résultat des guerres économiques et territoriales, que se sont livrées les empires, ivres de puissance, pris dans une course folle, qui allait alimenter les nationalismes et les rivalités régionales.

La déflagration est totale, suicidaire, le Vieux Continent à genoux, et trois empires vont sombrer corps et âme, en l’espace de quelques mois.

Comment imaginer que trente ans à peine après l’armistice, que nous célébrons aujourd’hui, forte des leçons de l’histoire, l’Europe allait à nouveau s’enflammer, et se fracasser contre la folie du nationalisme allemand, du nazisme d’Adolf Hitler ?

La commémoration de ce 11 novembre 1918, constitue donc un moment d’empathie, de mémoire, il doit être aussi, un moment de projection, pour se prémunir, et éviter les hoquets dramatiques de l’histoire.

À ce titre, les récents propos d’Emmanuel Macron, au sujet du Maréchal Pétain, dénaturent complètement l’esprit de ce centenaire, et ont choqué à juste titre, les anciens combattants, résistants, rescapés des camps, et tous les progressistes que nous sommes.

Nous n’attendons pas du chef de l’état qu’il crée de la confusion et des amalgames, mais qu’il assume, et porte l’histoire de notre pays, sans raccourcis populistes. On est bien loin du compte, je ferme la parenthèse.

Aujourd’hui, le modèle libéral pille les ressources humaines et matérielles, fracture nos sociétés, et crée dans les urnes, les conditions et les résultats actuels, du populisme et des nationalismes, en Europe et ailleurs. La paix n’est pas inscrite dans le marbre, éternelle, elle ne nous est pas due, mais résulte de tous nos efforts pour éduquer, transmettre, et mettre en perspective l’histoire, auprès des jeunes générations.

Pour ce centenaire de la signature de l’armistice, je remercie tout particulièrement les élèves du collège Elsa-Triolet, qui viennent de lire des textes de 14-18, ainsi que la présence dans l’assistance, de 23 élèves de CM2 de l’école Georges-Levy, et de leur enseignante, Madame Aurélie Perez. J’adresse mes félicitations aux 5 classes de 3ème du collège Aragon, qui viendront se recueillir, et prendre part aux manifestations du centenaire, demain ici même.

À La Maison du Peuple nous attend également, l’exposition conçue par notre Médiathèque : « Récits de tranchées, 1914-1918 », composée de 11 portraits et lettres. Oui, c’est à nous de faire résonner, la voix de ces hommes et de ces femmes sacrifiés, dont il ne reste plus de témoin, à nous d’en faire les fondations d’une paix à construire et à reconstruire, ici, aujourd’hui, et devant nous.

Je vous remercie.

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