Arrêtés interdisant les expulsions : audience au TA

Cette année encore, Michèle Picard défendait au tribunal administratif ses arrêtés interdisant sur la commune, les saisies mobilières, les coupures d’énergies et les expulsions locatives sans solution de relogement.

Mardi 17 août 2021. Cette année encore, Michèle Picard défendait au tribunal administratif ses arrêtés interdisant sur la commune, les saisies mobilières, les coupures d’énergies et les expulsions locatives sans solution de relogement. 12 ans de combat contre l’intolérable ! Une bataille politique pour dénoncer des pratiques inhumaines, qui ne font qu’accentuer la misère, pour créer une prise de conscience collective, et mettre fin à la spirale de la pauvreté. Une bataille juridique, pour que des solutions justes et humaines soient trouvées, face à l’exclusion. Merci aux associations, syndicats, habitants, forces progressistes présents, ce jour, devant le Tribunal. Merci pour leur soutien, leur solidarité, dans cette bataille pour le droit à une vie digne. Ci-après son argumentaire lors de l'audience.

Monsieur le Président,

Chômage partiel, perte d’emploi, avec la crise sanitaire, économique et sociale, plus d’un million de personnes a basculé dans la précarité.

Les associations de solidarité alertent sur l’explosion de la misère en France

  • 9,3 millions de nos concitoyens vivent déjà sous le seuil de pauvreté,
  • 8,8 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire,
  • 12 millions sont victimes de précarité énergétique,
  • 15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement,
  • Avec la crise sanitaire, le nombre de personnes à la rue a augmenté de 8 %.

Dans l’agglomération lyonnaise, avant la pandémie, 15 % des habitants ne mangeaient pas à leur faim, et 90 000 ménages étaient en situation de précarité énergétique. En avril dernier : 2 500 personnes étaient sans abri. 20 000 étaient dépourvues de logement personnel.

Avec le confinement, l’accès aux droits et à l’accompagnement social a été fortement réduit. Les services publics, surchargés de dossiers d’impayés de loyer, ont dû faire face à de nouvelles demandes. Les CCAPEX, les commissions de surendettement, de médiation DALO, ont fonctionné au ralenti. En 2020, le nombre d’attributions de logements sociaux a chuté de 20 %, pénalisant l’accès à un logement social, pour des milliers de familles.

Vénissieux est fortement marquée par la crise.

En 2020, Le nombre d’allocataires du RSA a augmenté de 11 %, les demandes de tarifs sociaux pour la restauration scolaire ont doublé. En novembre dernier, les demandes de secours alimentaires ont augmenté de 117 %, par rapport à novembre 2019.

Durant toute la pandémie, la Ville a renforcé l’accompagnement des plus fragiles, avec un montant total des aides attribuées par notre service social, de près de 193 000 euros.

La ville a travaillé, en lien avec ses partenaires, pour gérer, le plus en amont possible, les impayés de loyer, et éviter ainsi, pour de nombreux ménages, le drame de l’expulsion. Je citerai :

  • La commission des impayés de loyers pilotée par le CCAS,
  • La sous CCAPEX mise en place par la ville,
  • Le dispositif ETAGE, piloté par Grand Lyon Habitat, en lien avec le CCAS de la ville et la MDM, les bailleurs partenaires et les associations d’accompagnement.
  • Ce travail de qualité a permis de réduire de 40 % le nombre d’assignations, et de 37 % les programmations par rapport à 2019. 

La Métropole de Lyon a aussi engagé une politique volontariste de maintien dans le logement, et de prévention des expulsions.

Face à l’ampleur de la crise, l’action des collectivités ne suffit pas et ne suffira pas à elle-seule, à répondre à l’urgence sociale.

Nous ne pouvons pas, non plus, pallier les manquements de l’Etat

Je rappelle que le logement a été le grand oublié du Plan de Relance. L’Etat a maintenu le prélèvement de la « Réduction de Loyers de Solidarité », à hauteur de 1,3 milliard d’euros par an. Dans les faits, ce sont 100 000 attributions HLM, et 100 000 permis de construire en moins en 2020.

Selon le bilan triennal SRU 2017/2019, plus de la moitié des communes ne respectent pas la loi.

Les aides destinées aux locataires à bas revenu, diminuent drastiquement :

  • Action logement : – 1,3 milliard d’euros en 2021,
  • APL : – 750 millions d’euros en 2021,

Depuis 2019, les crédits de l’État destinés au Fonds National des Aides à la Pierre (FNAP), sont à 0 !

L’État doit proposer une véritable politique du logement :

  • en revalorisant les APL,
  • en construisant des logements sociaux en nombre suffisant – En 2020 : à Vénissieux, 4 000 demandeurs étaient toujours en attente d’un logement social, 80 000 dans l’agglomération lyonnaise.
  • en renforçant la loi SRU : Le gouvernement s’est engagé à construire 250 000 logements sociaux, ces deux prochaines années. Il en faudrait 500 000 par an. 

L’Etat doit

  • Interdire toute expulsion locative, sans une solution pérenne de relogement,
  • Refinancer l’aide à la pierre,
  • Augmenter le fonds national d’aide aux impayés, aujourd’hui abondé de 30 000 euros, alors que les besoins sont évalués à 200 millions d’euros.

Dans les mois à venir, nous serons confrontés à une crise sociale sans précédent. Dans ce contexte, la reprise des expulsions locatives est incompréhensible.  En 2020, l’Etat a reporté la trêve hivernale au 2 juillet, précisant que « seules les procédures de relogement opérationnel seraient mises en œuvre, au sortir de la trêve ». Pourtant, parmi les 3 500 ménages expulsés entre juillet et octobre 2020, peu ont été relogés. Aujourd’hui, plus de 30 000 procédures d’expulsions locatives sont en cours.

L’instruction ministérielle du 26 avril 2021, relative à la prévention des expulsions locatives, stipule « qu’à l’issue de la trêve hivernale, si une expulsion doit avoir lieu, elle sera assortie d’une proposition d’un autre logement, ou à défaut, d’une proposition d’hébergement… » Cette disposition n’est pas applicable, car, dans les faits, comment assurer un logement pérenne aux personnes en situation d’expulsion, alors que notre pays manque cruellement de logements sociaux ? Comment proposer à ces familles, une place en hébergement, alors que tous les dispositifs d’hébergement d’urgence sont saturés, et que 300 000 personnes sont sans domicile fixe ?

L’instruction souligne que « les préfets devront mettre en place, à l’échelle du département, un plan d’action avec les collectivités locales, les bailleurs et les associations, pour coordonner les recherches de logements, d’hébergement et l’accompagnement social et /ou juridique des ménages ». Ce travail, la Préfecture ne l’a pas engagé avec la Ville. De plus, le Préfet continue d’accorder des expulsions, avec le concours de la force publique. A Vénissieux, 32 expulsions sont programmées. 7 ont déjà été réalisées, alors que mon arrêté était encore applicable. Ces expulsions ont eu lieu sans relogement préalable de la Préfecture. C’est, une fois encore, les services de la ville qui ont répondu à l’urgence, et ont essayé de trouver une solution humaine.

De plus, cette instruction fixant au 1er juin, la fin de la trêve hivernale, montre l’incohérence du gouvernement, face aux mesures sanitaires imposant le maintien d’un couvre –feu à 21 heures, puis à 23 heures. En effet, pour être en mesure de respecter ce couvre-feu, chaque personne devait pouvoir disposer d’un lieu de résidence. Or, à défaut de relogement, l’expulsion aurait eu pour effet, de placer la personne dans une situation contrevenant à la décision gouvernementale.

C’est pour montrer que la reprise des expulsions locatives était incompatible avec les règles sanitaires nationales que j’ai pris, le 31 mai, puis le 10 juin, des arrêtés correspondant aux changements d’horaires du couvre-feu.

Depuis le début de la pandémie, les maires ont pris des mesures sociales et sanitaires, envers la population. Mes arrêtés vont dans ce sens :

  • Protéger les habitants face à une pandémie toujours présente,
  • Préserver les familles fragilisées par une crise sociale sans précédent,
  • Eviter les drames humains engendrés par l’expulsion,
  • Rappeler à l’Etat ses engagements et ses devoirs.

Mes arrêtés donnant obligation de relogement, avant toute expulsion locative sur la ville, sont attaqués par le Préfet sous prétexte

  • Qu’un maire ne peut, au titre de ses pouvoirs de police, faire obstacle à l’exécution d’une décision de justice,
  • Or, ces arrêtés n’interdisent pas l’expulsion, mais imposent un relogement préalable de la personne concernée, à l’issue de l’exécution de la procédure d’expulsion.
  • Ils ont pour but d’assurer que l’instruction ministérielle du 26 avril, soit respectée.

Le Préfet précise que « l’ensemble des arguments sur lesquels se fonde mes arrêtés, notamment concernant la situation sanitaire, ne saurait prospérer » Cependant, si au 20 juin, date officielle de la levée du couvre-feu, la situation sanitaire semblait s’améliorer, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La crise est loin d’être derrière nous, bien au contraire. L’arrivée d’une 4ème vague de contamination en est la preuve. A deux reprises, je me suis adressée au premier ministre, concernant les conséquences dramatiques et prévisibles de la crise sociale annoncée. Aujourd’hui, les faits me donnent raison.

Mon arrêté interdisant les coupures d’énergies et de gaz, a pour objectif :

  • De prévenir les accidents dus aux moyens de substitution de chauffage et d’électricité, particulièrement l’utilisation de bougies, comme source d’éclairage.
  • A l’heure où les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter, où 30 % de nos concitoyens sont touchés par la précarité énergétique, tout doit être fait, pour éviter que les populations les plus précaires, basculent dans la grande pauvreté.

Depuis plus d’un an et demi, le climat anxiogène causé par la COVID, a fragilisé la population. Selon l’Observatoire de la santé mentale de la Mutualité Française, 1 personne sur 5 est touchée par un trouble psychique en France. Face à cette préoccupation majeure, l’Etat ne développe pas les lieux d’écoute et de parole, dont la population a besoin. A Vénissieux, nous avons créé une cellule de veille pour les plus de 65 ans, et mis en place une permanence d’accueil téléphonique, accessible à tous, avec un psychologue-psychanalyste.

Durant le confinement, le logement est devenu, pour beaucoup, un lieu refuge, les rendant moins vulnérables face à la pandémie. Pour les familles déjà fragilisées socialement, l’expulsion peut entraîner une rupture psychologique, pouvant provoquer des drames humains. Nous avons déjà connu cela à Vénissieux, quand, en 2013, une septuagénaire s’est donné la mort, juste avant son expulsion. Un acte que personne ne pouvait anticiper.

Aujourd’hui, alors que la situation est particulièrement anxiogène, on ne peut pas me dire que l’éventualité d’un drame, lors d’une expulsion locative, est prévisible et gérée en amont. Tout peut arriver : le 23 juin, à Pierrelaye dans le Val d’Oise, un homme est mort, lors de son  expulsion locative. Dans le contexte actuel, a-t-on besoin, de rajouter des drames à ce que vivent déjà nos concitoyens ?

Les pouvoirs publics doivent réaffirmer et appliquer strictement et sur l’ensemble du territoire, les instructions ministérielles relatives aux expulsions locatives. La lutte contre la pauvreté est un impératif national, fondé sur le respect de la dignité humaine. C’est le sens de mes arrêtés : une réponse humaine et solidaire, pour que chacun ait accès aux droits fondamentaux, inscrits dans notre Constitution.

Michèle Picard

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