ARMISTICE DE LA GUERRE 1914/1918

C’est douloureux de ne pas pouvoir rendre hommage publiquement à ceux qui ont vécu et bien souvent péri dans les tranchées de 14-18, boucherie immonde du début du XXème siècle. La frustration est là également de ne pas sentir à nos côtés la présence des écoliers et des enfants du CME pour garantir ce qui nous tient le plus à cœur : la transmission des savoirs. La pandémie est là, elle nous oblige à adapter toutes nos manifestations et commémorations aux règles sanitaires en vigueur, mais rien ne doit pour autant entraver ni effacer notre mémoire collective. Il faut lutter contre l’oubli, lutter contre un temps présent qui accaparerait toutes nos attentions sans nous permettre de remonter aux racines du récit national. Quand elle est expliquée, remise dans son contexte, l’histoire sait réunir, sait éclairer, sait nous enrichir et nous rendre plus lucides. Au lieu de diviser, elle nous rapproche, et c’est là l’une des leçons que seule l’histoire peut nous donner, même en temps de crise sanitaire.

Dans l’horreur de cette guerre, par où faut-il commencer ? Par le nombre de morts ou par les conditions terribles dans lesquelles une génération entière a été fauchée, devenue chair à canon ? Par cette guerre statique, immobile, dans le froid, la boue et les maladies des  tranchées ou par ce terrible sentiment de résignation, de rester en place pour attendre la balle ou les gaz qui vous tueront un jour ou l’autre. Au cœur de ces combats, rien ne fait plus sens sur le fond : gagner 30 mètres ici, en perdre 20 là-bas. Pour la première fois dans une guerre, le soldat est livré à lui-même, désemparé et dépassé par la vitesse et la force de frappe d’armes que l’industrie a produites en masse. Ce sentiment d’impuissance, de n’être rien ou si peu de chose face à ce déluge de feu incontrôlable, est une première dans l’histoire des hommes.

Le bilan est terrible, le choc d’une violence inouïe. 10 millions de morts militaires sont recensés. Le travail des historiens se poursuit en matière de pertes civiles, estimées à  9 millions de personnes en 14-18. La première guerre mondiale marque une rupture fondamentale : décimer les populations et attaquer le moral des civils deviennent des armes stratégiques pour faire basculer l’issue du conflit.  Le bain de sang est inimaginable : 1er bataille de la Marne : 550 000 morts. Verdun : 720 000 pertes humaines. Bataille de la Somme : plus d’un million de morts en moins de 6 mois. 1 400 000 soldats français et coloniaux décomptés morts soit 27 % des 18-27 ans ! Au cours de la seule journée du 22 août 1914, 27 000 soldats français seront tués, ce qui en fait la journée la plus sanglante et meurtrière de toute notre histoire ! Dans notre pays, 10 départements sont dévastés, 555 000 maisons détruites ou endommagées, les surfaces agricoles perdues représentent l’équivalent de la région Champagne-Ardenne.

A Vénissieux, Serge Cavalieri estime dans son livre intitulé « Vénissieux 1914 1918 poilus morts pour la France » qu’environ 1000 Vénissians ou assimilés ont été engagés dans la 1ère guerre mondiale. Et il dénombre 216 soldats morts ayant un lien, parfois ténu, avec Vénissieux. Sur l’ensemble de la guerre, en moyenne, plus de quatre vénissians décéderont par mois. Dans les portraits qu’il dresse des victimes vénissianes, Serge Cavalieri revient sur les circonstances des décès. Beaucoup  tombent à l’est bien sûr, notamment dans le département de la Marne et de la Meuse. Lors de la bataille de Verdun, certains portés disparus en 14 ne seront confirmés morts que quatre ans plus tard, d’autres s’éteignent au loin, sur le pont des bateaux engagés dans le détroit des Dardanelles.

Pourquoi cette génération a-t-elle été sacrifiée ? Prise dans la nasse d’une histoire qui la dépasse, elle fera les frais de  l’impérialisme hégémonique, de la course au profit du capitalisme et des marchands de canon et de la montée des nationalismes. Pour entrer dans la monstruosité de cette guerre, il faut lire et écouter les mots simples et les lettres des Poilus envoyées aux proches. Ces mots sont terribles, ils décrivent une horreur quotidienne que des hommes ont vécue, si le verbe vivre a encore ici un sens. Voici trois témoignages à glacer le sang. « Un obus recouvre les cadavres de terre, un autre les exhume à nouveau. Quand on veut se creuser un abri, on tombe tout de suite sur des morts ».  « Le vent en soufflant en rafales arrive à chasser les tourbillons de fumée, pas à chasser l’odeur de la mort ». «Dans les ravins et les champs, des cadavres noirâtres, verdâtres, décomposés, des cadavres d’hommes qui ont gardé des pauses étranges, les genoux pliés en l’air ou le bras appuyé au talus de la tranchée ».

Les conditions sanitaires exceptionnelles de la pandémie actuelle doivent nous inviter à approfondir nos connaissances par quelques lectures complémentaires. En France, quatre auteurs se détachent. Henri Barbusse et « Le feu », prix Goncourt 1916 ; Roland Dorgelès et « Les croix de bois » ; Maurice Genevoix, qui fait son entrée aujourd’hui même au Panthéon, et son anthologie « Ceux de 14 » ; Guillaume Apollinaire et ses « Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre ». Parmi cette littérature d’un choc civilisationnel sans précédent, signalons l’ouvrage remarquable « Poèmes de poilus Anthologie de poèmes français, anglais, allemands, italiens, russes – 1914-1918 » et « Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front (1914-1918) ». Autant de récits inoubliables, témoignages, lettres, qui nous ramènent au cœur de la souffrance humaine et au cœur d’un enfer, celui de la guerre 14-18.

 

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