Appel du Général de Gaulle – 2019

… »La Résistance, ne pèse rien ou si peu, et pourtant, éternelle histoire des petites rivières, qui font les grands fleuves, c’est elle qui, cinq ans plus tard, libérera la France avec les alliés. »…

Une voix et des mots prennent date, au milieu du chaos, et de la débâcle de l’armée française. Une voix que peu connaissent, et des mots que personne n’entend ce 18 juin 40. Une formule résume parfaitement l’état d’esprit de l’époque, je la cite : « Il y a ceux qui ont entendu l’appel du 18 juin, et qui ne l’ont pas compris, et ceux qui avaient compris déjà le sens de l’appel, et qui ne l’ont pas entendu ». Pour l’anecdote, l’appel du 18 juin du général De Gaulle, n’a pas été enregistré, une trace sonore pourrait avoir été conservée, dans les archives russes. Quand on a proposé en 44 et 45, au général, d’enregistrer l’appel sur un disque, il s’y est opposé, refusant toute idée de marketing politique.

Pour les résistants de la première heure, comme Daniel Cordier, par exemple, futur secrétaire particulier de Jean Moulin, c’est un discours de juillet 40, qui lui fera rejoindre la France Libre.

Aussi improbable qu’inattendu, cet appel du 18 juin, sur les ondes de la BBC, est pourtant une date fondatrice, de notre histoire récente. Beaucoup le considèrent comme un point de départ de la Résistance, mais c’est aussi, et dans un premier temps, une réponse à un autre discours, celui du Maréchal Pétain. Une France d’une poignée d’hommes, répond à une France qui capitule. Une figure volontariste, répond à une figure fataliste. Il faut donc replacer l’appel du 18 juin, dans le contexte de l’époque.

Au soir du 16 juin 1940, mis en minorité au sein de son gouvernement, sur le sujet de la continuation de la guerre en Afrique du Nord, Paul Reynaud démissionne. Le même jour, nommé chef du gouvernement, le maréchal Pétain, favorable à un armistice, engage des pourparlers avec l’ennemi. Le 17 juin, ce dernier adresse ces mots à la nation : « C’est le cœur serré, que je vous dis aujourd’hui, qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire, pour lui demander s’il est prêt, à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français, se groupent autour du gouvernement que je préside, pendant ces dures épreuves, et fassent taire leur angoisse, pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »

On remarquera, qu’un an plus tard, le discours de Pétain sera nettement plus belliqueux, désignant les communistes, et résistants comme les ennemis de la patrie. «Français, dit-il, vous avez vraiment la mémoire courte. Ne sombrez pas dans l’amertume, ni dans le désespoir. Vous n’êtes ni trahis, ni vaincus, ni abandonnés. Ceux qui vous le disent, vous mentent, et vous jettent dans les bras du communisme».

L’un a tué la République, l’autre veut la rétablir.

Dans ses mémoires de guerre, De Gaulle raconte cette journée du 17 juin, la veille de l’Appel : « La première chose à faire, était de hisser les couleurs, la radio s’offrait pour cela. Dans l’après-midi du 17 juin, j’exposais mes intentions à Winston Churchill. Il mit la BBC à ma disposition. Nous convînmes que je l’utiliserais, lorsque Pétain aurait demandé l’armistice. Or, dans la soirée même, on avait appris qu’il l’avait fait. Le lendemain à 18h00, je lus le texte que l’on connaît. A mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même, se terminer une vie, celle que j’avais menée, dans le cadre d’une France solide, et d’une indivisible armée. A 49 ans, j’entrais dans l’aventure, comme un homme, que le destin jetait, hors de toutes séries ».

Les deux dernières phrases du texte sont importantes, car elles éclairent en partie, ce qui donnera naissance à l’esprit de la Résistance. Le saut dans le vide, la force d’y croire, et un destin commun : libérer la France, pour la remettre sur de bons rails, ceux de la République. Trois forces de caractère, au milieu d’une immense solitude.

Sur les 30 000 soldats français, présents sur le sol britannique (les rescapés de Narvik, et de Dunkerque), 58 seulement, décident de rester outre-manche. D’autres, de simples citoyens, partiront immédiatement de l’île de Sein, avec l’idée de poursuivre le combat depuis la Grande-Bretagne.

Il y a ces cinq jeunes amis, réfugiés dans la Somme, qui partent vers Londres sur deux canoës : 30 heures de traversée, sur des eaux déchaînées, mais la liberté, et l’insoumission sont à ce prix.

Il y a ce breton de 19 ans, détenteur de brevets de pilote, et de mécanicien-avion. Maurice Halna du Fretay, est prévoyant. En octobre 39, il démonte son avion, transporte les pièces chez lui, range les instruments de bord dans sa chambre, cache le train d’atterrissage, et l’hélice dans le grenier, pose les ailes en bois, sur les poutres d’une grange. Après avoir remonté son bimoteur, le 15 novembre 1940, il décolle de la France, et rejoint les Forces Aériennes Françaises Libres.

Le paquebot Le Massilia permettra, lui, à des membres du gouvernement, et 27 parlementaires, de quitter la France pour continuer la guerre, avec les troupes stationnées en Afrique du Nord.

La Résistance, ne pèse rien ou si peu, et pourtant, éternelle histoire des petites rivières, qui font les grands fleuves, c’est elle qui, cinq ans plus tard, libérera la France avec les alliés.

Le 18 juin est un embryon, une flamme fragile dans la nuit noire, que le nazisme et le fascisme, font tomber sur le Vieux Continent. Il est aussi un pari, le pari que la guerre va durer, qu’elle sera mondiale, et que les alliances du jour, ne seront pas celles du lendemain. Que la France de juin 40, ne marque pas le fin mot de l’histoire. Un appel à l’espoir, un appel au refus de l’ordre établi, un appel à l’insoumission. Au cours de l’année 40, c’est à la résistance au sein de l’armée, que De Gaulle fait appel.

Pourtant très vite, la résistance civile va se mettre en place dans le Nord, pour évacuer et exfiltrer, les soldats de la poche de Dunkerque.

Août 41 : les communistes développent, un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs, et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon. D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme. 1941 toujours, des représentants du Parti communiste, et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943, qui scellent l’unité d’action dans la Résistance. Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO, créent un comité d’action socialiste (CAS), autant de structures qui augmenteront, après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom.

L’été 42, où Vichy et l’administration française, mettent en place la déportation des juifs de France, et commettent l’irréparable, agira comme un électrochoc. Politiquement, ces rafles marqueront une rupture nette, entre l’opinion publique et Vichy, la population, les églises également, prenant conscience que les milliers de déportés, n’étaient pas transportés en Allemagne, pour y travailler, mais bien pour y être exterminés.

Le second tournant aura lieu en 1943, avec l’instauration du Service du Travail Obligatoire.

L’appel du 18 juin, a semé quelque chose, quelque chose qui allait germer naturellement, dans l’esprit de chaque résistant, du nord, du sud, parmi les syndicalistes, les cheminots, les communistes, socialistes, progressistes, la droite républicaine, les hommes et les femmes, de toutes classes sociales.

Le chemin sera long, jonché de drames et de ruines, de familles meurtries, certaines décimées. Mais aucun résistant, n’a hésité à l’emprunter, en mesurant les risques encourus, sans retour possible, pour eux, pour leurs proches, pour leurs amis.

Le 18 juin, est une date en forme de réaction épidermique, une date en forme de réflexe de survie, une date d’orgueil pour ne pas mourir comme ça, sans combattre les armes, et les idéaux à la main. Une date aussi, pour reconstruire la République, et ce 18 juin 40 trouvera son prolongement, le 27 mai 43, première réunion du Conseil National de la Résistance. Ce sera un fer de lance, de la lutte armée pour la Libération, mais ce sera aussi, un véritable laboratoire politique, et un levier pour des réformes républicaines, et progressistes incroyables. Ces hommes et femmes, qui ont tout risqué, ont fait naître le modèle social français, dont on a hérité et dans lequel, nous avons grandi.

J’en rappelle quelques mesures phares : la création de la sécurité sociale, et du système de retraites par répartition en France. L’extension du nombre, et des attributions des comités d’entreprises, le vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Et, plus ou moins indirectement, le droit de vote des femmes.

Pour toutes les générations, il y a beaucoup de choses à retenir, de ce 18 juin 40. L’audace, l’insoumission, et la capacité à ne pas se résigner, la volonté de résister aux idées d’extrême droite, et réactionnaires, le sentiment de s’accomplir à travers un collectif, et une communauté de destin. Oui, il y a beaucoup de leçons du passé, à faire fructifier dans le monde d’aujourd’hui. Comme le disait André Malraux, le 18 juin, « c’était d’abord délivrer la France de son propre abandon ».

Je vous remercie.

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