Tribunal administratif : Non aux expulsions locatives !

Aujourd’hui, les villes n’ont ni les prérogatives, ni les moyens, pour répondre aux situations d’urgence. De plus, elles ne peuvent pallier les manquements de l’État.

Monsieur le Président,

Aujourd’hui, seront jugés quatre actes que j’ai pris, le 31 mars dernier, interdisant, sur la commune de Vénissieux, les expulsions locatives, les saisies mobilières, les coupures de gaz et d’électricité, et les coupures d’eau.

Je voudrais clarifier une incompréhension relative à l’acte stipulant l’interdiction des coupures d’eau, sur la commune de Vénissieux. Cet acte, n’est autre qu’un rappel de la loi Brottes, de 2013, qui interdit les coupures d’eau, tout au long de l’année, sur l’ensemble du territoire national, dont Vénissieux.

Depuis 2009, en France : 3 654 personnes sans domicile fixe sont mortes, dans la rue soit plus d’1 décès par jour. Toutes sont victimes d’accidents de la vie : perte de logement, séparation, maladies… Parmi elles, 81 avaient moins de 20 ans, dont 61 décédées ces 5 dernières années.

Hypothermie, incendies liés aux besoins de chauffage, maladies pour les plus fragiles, agressions pour les plus jeunes, ils sont morts, dans l’indifférence générale.

Année après année, la France compte toujours plus de personnes pauvres, sans domicile, expulsées ou souffrant de précarité énergétique. Une situation intolérable pour des centaines de milliers de familles, confrontées à une précarité de plus en plus insoutenable.

Alors que fait-on aujourd’hui, pour ces 8,6 millions de Français qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Pour ces 6 millions de ménages qui n’ont plus les moyens de se chauffer, de s’éclairer ? Agirons-nous avant qu’il ne soit trop tard ? Trop tard, pour ces 143 000 personnes sans domicile fixe, pour ces 31 000 enfants sans toit, aujourd’hui sur le fil de la survie ?

Depuis le début de la crise, la précarité s’est aggravée dangereusement. Le baromètre IPSOS / Secours Populaire Français, révèle une société fragilisée, où les plus pauvres paient le plus lourd tribut de cette crise.

En 2016, plus d’1 Français sur 2 juge que sa vie est menacée par la pauvreté. 83 % redoutent que leurs enfants connaissent, un jour, la pauvreté. Plus d’1/3 a déjà connu une situation de pauvreté. Pour ces familles, un quotidien fait de privations, de renoncements aux droits les plus fondamentaux et vitaux.

64 % des ménages les plus modestes disent rencontrer des difficultés pour payer des actes médicaux mal remboursés par la Sécurité Sociale. 50 % ont renoncé ou retardé une consultation chez le dentiste. Les parents en situation de pauvreté donnent la priorité aux soins de leurs enfants, au détriment de leur propre santé.

Une précarité lourde de conséquence pour les plus jeunes. Conscients très tôt des restrictions financières qui s’imposent à leur famille, ils vivent une réalité difficile, faite de doutes et d’angoisses. Chaque jour, ce sentiment de honte, cette insécurité permanente, cette peur au ventre qui ne les quitte pas : auront-ils de quoi manger ? Auront-ils un toit au-dessus de leur tête le soir ?

Vénissieux, comme toutes les villes populaires, est directement impactée par la crise. Selon l’Etude Compas 2016 : près de 30 % des Vénissians vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit le double du niveau national. Vénissieux devient la 14ème ville, parmi les plus grandes de France, avec le taux de pauvreté le plus élevé.

En 2016 : Près de 15 000 personnes ont sollicité le service social de la ville, toutes demandes confondues (+ 15 % / 2015). 202 ménages ont fait l’objet d’une mesure de maintien minimal d’énergie. 108 foyers ont subi une coupure d’électricité.

Loin de régresser, le mal-logement s’installe en France : aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge. 15 millions de personnes sont touchées par cette crise : loyers trop élevés, logements surpeuplés, précarité énergétique, etc…4 millions de nos concitoyens vivent dans des conditions d’habitat indigne. Face à l’augmentation des demandes d’hébergement d’urgence, le 115 ne répond plus.

En 2016, plus de la moitié des demandes sont restées sans réponse. Même scénario catastrophe pour les Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SIAO) l’an dernier, seuls 32 % des ménages ont reçu une réponse positive à leur demande d’hébergement.

En 2017, la Cour des Comptes a rappelé le gouvernement à ses obligations, l’incitant, notamment, à  privilégier la construction de logements très sociaux. Si la construction de logements sociaux est effectivement essentielle, l’hébergement d’urgence reste un impératif.

Comme chaque année, les procédures d’expulsions sont en hausse. En 20 ans, les décisions de justice prononçant l’expulsion ont augmenté de 80 %. Dans le même temps, les expulsions locatives ont doublé.

A Vénissieux en 2016, sur 122 demandes de concours à la force publique, seulement 50 % ont débouché sur une suspension, ou une annulation de la procédure d’expulsion. Sur 86 programmations, 25 familles ont pu éviter l’expulsion.

Je voudrais souligner, ici, la qualité du travail réalisé, en amont, par la Ville et les partenaires sociaux, pour intervenir dès les 1er mois d’impayés de loyer. L’an dernier, 372 situations ont été traitées. Ce travail social est indispensable, mais dans certains cas, il ne suffit plus.

Face à la crise, les dispositifs d’aides financières (FSL, caisse de retraite, associations,) ne peuvent plus répondre à la hausse des demandes de soutien financier.

Parallèlement, 33 expulsions ont été effectuées avec le concours de la force publique (+ 37,5 % en 1 an). 28 ménages sont partis avant l’expulsion, par peur et par pression. Que deviennent ces familles, et qui s’en soucient ? Comment sont-elles prises en charge ?

Aujourd’hui, les villes n’ont ni les prérogatives, ni les moyens, pour répondre aux situations d’urgence. De plus, elles ne peuvent pallier les manquements de l’Etat.

Je rappelle qu’un Plan Local d’Action pour le Logement et l’Hébergement des Personnes Défavorisées a été signé, entre la Préfecture et la Métropole, le 18 octobre 2016. Ce Plan impose la création d’une sous-commission locale réglementaire de la CCAPEX, chargée d’examiner les situations individuelles d’expulsion. Or, cette sous-commission locale n’a toujours pas été installée sur le territoire et, aucun dossier n’a donc pu lui être présenté.

Les politiques publiques ne sont pas à la hauteur de la crise du logement. L’Etat s’était engagé à construire 500 000 logements chaque année, dont 150 000 logements sociaux. Or, moins de 400 000 logements, par an, ont été mis en chantier, et, la production de logements sociaux n’a jamais atteint les 150 000.

La diminution régulière des aides à la pierre, la remise en cause du 1 % logement, ont fortement mis à mal le logement social. Le décret de juillet 2016, pris par le gouvernement, prévoit une baisse, voire une suppression des APL en cas de loyers jugés trop élevés. Cette mesure pénalise des milliers de familles. Si la loi « Egalité Citoyenneté » renforce la loi SRU, 62 % des communes ne respectent toujours pas l’obligation légale de construction de 25 % de logements sociaux.

Face à l’urgence sociale, l’Etat doit assumer ses responsabilités. C’est à lui de répondre à l’insuffisance de places en hébergement d’urgence. C’est à l’Etat de faire appliquer les lois qu’il fait voter :

Alors que tous les indicateurs montrent une aggravation de la crise du logement, le nombre de ménages reconnus au titre du DALO diminue.

Dans son rapport 2016, le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées révèle une tendance inquiétante, des commissions de médiation, à interpréter la loi, au minimum, le Dalo est le plus souvent accordé au regard de l’offre de logements disponibles, au détriment de la situation des ménages.

Le Haut Comité souligne des incitations scandaleuses des pouvoirs publics eux-mêmes. A l’image du courrier du Préfet du Var félicitant les membres de la commission de médiation pour avoir, je cite : « su respecter les instructions préfectorales données ». Le nombre de ménages reconnus prioritaires au titre du Dalo est passé de 50 à 22 %.  Une attitude insupportable à l’heure où 57 000 ménages sont toujours en attente d’une proposition de logement depuis 7 ans ! Certains sont même expulsés !

La loi Brottes, confortée par décision du Conseil Constitutionnel en 2015, n’est toujours pas respectée.

Le 27 avril, Veolia a été condamné, par le Tribunal de Grande instance de Nanterre, à une amende de près de 19 000 euros pour avoir coupé l’eau dans le logement d’un usager, pendant plus de deux ans. Pour justifier cette somme, l’ordonnance en référé met en avant « la durée de privation d’eau » – plus de trente mois, et le « handicap » de cet homme de 41 ans.

Un cas loin d’être une exception : en 2 ans, Saur et Veolia ont été condamnées 8 fois pour coupures illégales d’eau. Des pratiques aussi cyniques que scandaleuses :

  • Comment peut-on accepter que des multinationales puissent bafouer, ainsi, la législation ?
  • Combien de décisions de justice faudra-t-il pour faire cesser des pratiques, aussi illégales qu’inhumaines ?
  • Comment peut-on supporter que les droits les plus fondamentaux soient ainsi dénigrés ?

Le gouvernement s’était fixé comme priorité le plan de lutte contre la pauvreté et l’inclusion sociale. L’Etat et la Métropole doivent donc créer la sous-commission locale de la CCAPEX, pour que chaque situation soit examinée individuellement, permettant aux ménages de rester dans leur logement ou d’obtenir une solution de relogement.

Au travers de mes arrêtés, Je veux alerter les pouvoirs publics sur la détresse, l’angoisse et la peur que subissent des milliers de familles. Une souffrance quotidienne qui peut mener au pire, un exemple en mai 2016 à Armentières : Emilie Loridan, maman de deux enfants de 6 et 8 ans, ne perçoit pour vivre, que l’allocation enfant handicapée de 398 euros, pour sa fille trisomique. Désemparée, accablée par une situation financière insupportable, elle lance un appel au secours, relayé par les médias 2 mois plus tard, à bout, elle met fin à ses jours.

Je veux aussi démontrer que l’expulsion ne règle rien, sauf accentuer des situations déjà dramatiques. Exemple, en octobre 2016 à Villejuif (Val-de-Marne) : Un couple s’est donné la mort. Dans leur chambre, les policiers ont trouvé une lettre expliquant leur geste : ils ne pouvaient plus payer leur loyer. Leur dette : 2 000 euros.

Ce drame nous l’avons vécu, à Vénissieux, en 2013, une septuagénaire s’est suicidée, dans son logement, le jour de son expulsion. Ce jour-là, c’est le maire que l’on a appelé en priorité. Alors si un maire ne peut interdire l’expulsion, pourquoi doit-il, ensuite, réparer les conséquences indignes qu’elle engendre ?

Ces arrêtés, c’est également pour prévenir les accidents dus aux moyens de substitution de chauffage et d’électricité. Le 25 janvier 2017 à Nice : une fillette de 5 ans perd la vie dans l’incendie accidentel du foyer familial. Privée d’électricité, la famille s’éclairait à la bougie.

En 2016, le juge a réaffirmé qu’un maire pouvait faire usage de ses pouvoirs de police générale, et, prescrire l’interdiction de coupures d’énergies pour prévenir un trouble à l’ordre public, en cas de circonstances particulières qui rendent cette mesure nécessaire, en raison de la gravité et de l’imminence des risques encourus. Toute la difficulté consiste à faire reconnaître les risques encourus pour chaque coupure d’énergies.

Comment puis-je faire reconnaître un risque encouru, d’autant plus que je ne suis pas informée de ces coupures ? De plus, par nature, un risque n’est qu’une éventualité. S’il était avéré, il cesserait d’être un risque mais deviendrait un sinistre. Dans ce cas, on pourrait m’attaquer en justice pour ne pas l’avoir anticipé, il y aurait alors non-assistance à personne en danger !

Mes arrêtés portent cette volonté de faire évoluer la jurisprudence, dans le plus strict respect des lois.

Face à l’urgence sociale, l’Etat doit être un véritable partenaire et œuvrer, avec les collectivités, pour trouver des solutions justes et humaines, pour mettre un terme à cette spirale de l’exclusion.

Parce qu’il n’est pas supportable de laisser des personnes mourir dans la rue !

Parce qu’il n’est pas acceptable que des hommes, des femmes, des enfants, vivent dans des logements insalubres !

Parce qu’il n’est pas tolérable que des familles mettent leur vie en péril, pour pouvoir se chauffer ou s’éclairer.

Parce que le logement est un rempart contre l’insécurité sociale.

Notre République parle de droits fondamentaux. Ces arrêtés contribuent à ce que la République soit conforme aux principes qu’elle a, elle-même, édictés. Le droit de chaque individu d’accéder à un emploi, à un logement, à la santé, à l’éducation. Il en va de la dignité humaine. Il en va de la dignité de notre pays !

Je vous remercie.

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