Ouverture du festival Essenti’Elles 2017

…Depuis le début du 20ème siècle, il n’y a pas eu une décennie, pas une année, sans que les générations passées, de femmes et de progressistes, ne se soient battues, pour plus d’émancipation, plus de justice sociale, plus d’égalité hommes-femmes, dans le monde du travail, dans la sphère publique, et dans la sphère privée…

On pourrait croire à une mauvaise blague, à un mauvais cauchemar, dont il faut vite se réveiller. Mais non, le réel dépasse souvent la fiction, et le pire entre alors par effraction.

Le 25 janvier dernier, la douma, l’assemblée des députés russes, a dépénalisé les violences domestiques dans le cercle familial. Par 385 voix pour et seulement 2 contre, les coups portés aux enfants ou aux femmes, ne sont plus exposés au code pénal, mais relégués au rang des violations administratives. En clair, les auteurs de violences conjugales et familiales, ne seront plus passibles de deux ans de prison, mais d’une amende de 5 000 à 30 000 roubles, voire de travaux obligatoires.

Comment une telle loi a-t-elle pu être adoptée en 2017, alors que selon les statistiques, des centaines, voire des milliers de femmes meurent chaque année, sous les coups de leur conjoint en Russie.  40% des crimes graves, dont les principales victimes sont les femmes et les enfants, se produisent dans le cercle familial.

Ça laisse pantois, abasourdi, mais sous la pression de l’église orthodoxe et du pouvoir, le législateur a bel et bien cédé. Cette triste exclusivité n’est pas seulement russe, l’heure est au néo populisme, autoritaire et régressif, à l’image de la remise en cause de l’IVG par le Front National, et une partie de la droite conservatrice.

Des exemples de la sorte, des exemples d’ici et maintenant, des exemples des droits des femmes bafoués, je pourrais vous en donner des centaines et des centaines, issus de tous les continents, issus de tous les héritages patriarcaux, et de toutes les pensées réactionnaires. Non, j’ai plutôt envie d’insister sur un mot : le combat, perpétuel et permanent, des femmes et des hommes, pour l’égalité des sexes. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Tout le monde connaît cette citation de Simone de Beauvoir.

J’ai envie de dire : nous y sommes, nous sommes dans cette crise, et nous sommes dans la remise en cause de droits, que chacun de nous pensait inaliénables. Il faut inscrire nos combats et quêtes, dans un temps long et un temps relatif, car nombre de droits acquis ne remontent souvent, qu’à quelques générations.

  • Suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée : 1938, moins d’un siècle.
  • Droit de vote et d’éligibilité pour les femmes : 1944, à peine plus de 70 ans.
  • Suppression de la notion de salaire féminin : 1946.
  • Libre exercice d’une profession pour les femmes, sans l’autorisation de leur mari : 1965, tout juste 50 ans !
  • Loi Neuwirth, autorisant la contraception : 1967.
  • Reconnaissance du principe à travail égal salaire égal : 1972.
  • Loi Veil pour l’IVG, 1975, remboursée par la sécurité sociale depuis 1982.
  • Possibilité accordée au juge pénal, d’ordonner l’auteur de violences, de résider hors du domicile du couple : 2005.
  • La loi relative à l’égalité salariale, entre les hommes et les femmes, toujours pas appliquée par ailleurs, date de 2006.
  • 16 février 2017 : la proposition de loi PS ; visant à pénaliser le délit d’entrave à l’avortement, étendu aux sites internet, définitivement adoptée.

Je n’ai pas cité tous les textes-clés relatifs aux droits des femmes, mais à travers cet historique, je voulais montrer combien l’émancipation de la femme, la liberté de disposer de son propre corps, sont sur le fond relativement récents.

Je conçois tout à fait qu’une jeune femme de 2017, ne s’imagine pas demander à son mari, l’autorisation de pouvoir aller travailler. Trois générations avant elle, c’était pourtant le cas. L’autre observation que l’on peut tirer de cette succession de dates, c’est la nécessité de se battre au quotidien.

Depuis le début du 20ème siècle, il n’y a pas eu une décennie, pas une année, sans que les générations passées, de femmes et de progressistes, ne se soient battues, pour plus d’émancipation, plus de justice sociale, plus d’égalité hommes-femmes, dans le monde du travail, dans la sphère publique, et dans la sphère privée. Si l’on oublie cette permanence des luttes, non seulement nous ne gagnerons pas de terrain, en matière de nouvelles libertés, mais les droits durement acquis seront rognés, dévitalisés.

Il doit donc rester en chacun de nous, une Olympe de Gouges, une Louise Michel, une Simone Veil, une Marguerite Yourcenar, première académicienne à laquelle le festival Essent’ielles rendra hommage. C’est dans notre capacité à refuser l’ordre établi, à porter des colères constructives, à s’inscrire dans cette longue lignée, de femmes et d’hommes de progrès, que nous conjuguerons au présent les droits des femmes, c’est-à-dire les droits de tous.

La 5ème édition du festival Essenti’elles est là pour nous rappeler, combien le terrain et la proximité font le droit, le droit au jour le jour, et le droit dans son application.

Je voudrais remercier tous ceux qui, par toutes les entrées que la culture permet, donnent vie à cette manifestation. Pendant trois jours, il sera question des femmes, de leur place dans la société, dans la création, dans la culture, dans le sport, dans nos imaginaires. Les violences faites aux femmes, ce fléau insupportable, constitueront le fil rouge de cette 5ème édition. Fléau est-il le mot adapté, tant les chiffres sont accablants : chaque année en France, plus de 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales. 118 d’entre elles ont péri, sous les coups de leur conjoint et ex-conjoint, en 2014. 143 000 enfants vivent dans un foyer, où une femme déclare être victime de violences.

La convention d’accueil et de soutien des femmes, que la Ville de Vénissieux a passée avec l’association VIFFIL-SOS FEMMES, s’inscrit dans ce cadre : dénoncer ne suffit plus, il faut agir sur le terrain, agir au plus près des victimes.  Mais le festival s’ouvrira aussi à d’autres thématiques et d’autres voix. Celles d’Emily Loizeau, de Marguerite Yourcenar, viendront tracer des horizons divers, des territoires, au cœur desquels, les femmes sont bien souvent sous-représentées.

Dire qu’il a fallu attendre 1980, pour avoir la première femme élue à l’académie française, forme un étrange écho à l’absence des femmes, dans la liste des auteurs éligibles, au grand prix du Festival de la BD d’Angoulême, en 2016. Que d’espaces à conquérir, les espaces et les voies de l’égalité des sexes, ni plus ni moins.

Il y a aussi, dans la dimension physique et géographique de notre ville, la nécessité d’inscrire des noms féminins, comme une empreinte et une emprise, sur nos déplacements, nos mouvements, et nos repères. L’histoire de ces femmes s’insère, dans l’histoire de notre présent et de nos quartiers. La médiathèque porte le nom de Lucie Aubrac, ce n’est pas un hasard, et je tenais, dans le même esprit, à ce que notre 21ème groupe scolaire se dénomme Flora Tristan, femme de lettres et de combats pour le droit des femmes, et les grandes luttes sociales du 19ème siècle, grand-mère du peintre Paul Gauguin. Cette même volonté d’ancrage territorial, se retrouve dans une nouvelle rue vénissiane, rue Simone Veil.

C’est bien par le terrain, que les droits des femmes existent et remontent, qu’ils se renforcent et se nourrissent, en se confrontant à la réalité des choses. Ils sont confortés par des actions répétées et préventives, par des campagnes de sensibilisation, pour interroger les jeunes sur les rapports filles-garçons, par la présence de nos services publics de proximité. Le conseil municipal enfants, nos six Equipements Polyvalents Jeunes, le BIJ, nos équipements culturels, l’éducation nationale, nos ateliers d’arts plastiques, les centres sociaux, le collectif femmes de Vénissieux, le CABV, la Maison de Quartier Darnaise, les associations, tout le monde se mobilise, et effectue un travail de proximité remarquable.

Je le répète, nous avons ici, à Vénissieux, une force et une chance supplémentaires : la volonté commune de s’associer, pour donner une résonance plus forte, à l’organisation et à la diffusion, de nos manifestations, qu’elles soient citoyennes ou culturelles.

Pour notre festival Essenti’elles, nos théâtre, médiathèque, cinéma, l’Espace Arts Plastique Madeleine Lambert et le CABV, ont travaillé en synergie. Les EPJ se sont mobilisés, en partenariat avec l’Ecole de Musique. Tous les agents et services impliqués, toutes les associations et les forces progressistes de notre ville, méritent d’être salués.

Leur défense des droits des femmes rejoint notre détermination politique, non pas de penser aux femmes un jour par an, mais de remettre constamment l’ouvrage sur le métier, auprès des jeunes, dans les collèges, lycées, à travers le déploiement et les potentialités de nos politiques de proximité. D’où cet appel que je lance, cet appel pour lutter ensemble, contre l’austérité imposée à la population, et aux collectivités, qui mettent en péril les finances des communes et associations, qui fragilisent le planning familial, la culture de proximité, le sport pour tous, qui défont sous nos yeux, nos droits les plus singuliers et les plus universels.

A l’heure des populismes, des régressions les plus effarantes, et des obscurantismes les plus effroyables, l’ouverture de ce festival est là pour nous rappeler, que la femme dispose de son visage, de sa voix, de son corps, de sa liberté, de son identité, qu’elle est, en un mot, ce qu’elle veut devenir, et que nul ne peut entraver ce chemin-là.

Et puisqu’elle est à l’honneur cette année, je laisserai le dernier mot à Marguerite Yourcenar : « J’aime que le temps nous porte, et non qu’il nous entraîne », disait-elle. C’est dans l’espoir le plus fou, que les droits jugés les plus inaccessibles, se forgent.

Je vous souhaite à toutes et à tous, un excellent festival, et je vous remercie.

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