L’appel du Général De Gaulle

… »Sans le 18 juin 40, y aurait-il eu un 27 mai 43 ? Et sans le CNR, y aurait-il eu notre modèle social français, qui a permis à toutes les générations de l’après-guerre, de vivre dignement ? »…

Il aura fallu une trentaine d’heures pour que le sort de la France bascule.

Trente heures dans la vie d’un pays, c’est peu, mais bien assez pour que la liberté vacille, et la République s’effondre. C’est dire aussi la fragilité de la démocratie, si on ne la défend pas.

17 juin 1940, 12h30. Le Maréchal Pétain, 84 ans, la voix chevrotante, prend la parole à la radio : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire, pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside, pendant ces dures épreuves, et fassent taire leur angoisse, pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »

Le lendemain, 18 juin, 18h30, à Londres, De Gaulle lance son appel sur les ondes de la BBC. Avec ces mots, qui portent l’espoir et vont permettre, comme l’a si bien dit Régis Debray, « à la France de traverser les 60 dernières années en première classe, avec un ticket de seconde ».

Car il y a l’espoir dans cet appel, mais aussi une certaine idée, une certaine image, une certaine représentation de la France.

Revenons aux mots de De Gaulle, j’en cite un extrait : « Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause, et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus, peuvent faire venir un jour la victoire… Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre, et ne s’éteindra pas ! ».

30 heures entre deux discours, l’un de résignation, l’autre de résistance, l’un de capitulation, l’autre de détermination et d’intuition. Mais le parallèle entre les deux interventions s’arrêtent là.

Quand le message de Pétain est entendu, celui de De Gaulle passe inaperçu.

Le contexte de débâcle militaire, et le chaos politique de la France, opèrent comme un filtre, et ne laissent passer que la parole officielle, celle d’un armistice avec l’ennemi, d’un pacte avec le nazisme d’Hitler. C’est peut-être triste à dire, mais en ce mois de juin 40, les mots du Maréchal sont accueillis avec un soulagement.

90 000 soldats français sont morts, plus d’un million de soldats sont faits prisonniers, et six millions de civils fuient sur les routes, les troupes allemandes.

Le chaos est indescriptible, et le choc est d’autant plus violent, que l’armée française était considérée, quelques mois auparavant, comme la « première armée du monde ».

Alors oui, il y a une forme de soulagement, pour une majorité de Français, n’ayons pas peur dire une vérité historique, mais pour d’autres, la réaction est littéralement épidermique, physique même.

Le discours de Pétain suscite tout autant la répulsion, que la honte et le rejet viscéral. En entendant les mots du Maréchal, Germaine Tillion vomit littéralement.

La femme de lettres et ethnologue deviendra la cofondatrice, quelques semaines plus tard, du premier réseau de résistance.

Edgar Morin, sociologue et philosophe, se souvient lui aussi : « J’avais 20 ans, la vie devant moi, et n’avais pas envie de mourir. Mes amis me poussaient à franchir le pas. Mais ce n’est qu’en entrant dans une organisation de résistants que j’ai appris à devenir résistant, c’est à son contact que j’ai appris à résister ».

Oui, il y a quelque chose de viscéral, de réaction impulsive des uns et des autres, face à cette France qui baisse la tête.

Dès le 17 juin 40, le communiste Charles Tillon à Bordeaux, ou le démocrate-chrétien Edmond Michelet à Brive, rédigent des tracts contre « le traître Pétain ». Le premier intègrera la Résistance pendant la guerre, en tant que fondateur et commandant en chef des Francs tireurs et partisans français, le second deviendra chef du mouvement de Résistance Combat en Limousin, sous le nom de Duval.

Et De Gaulle dans tout ça ? Après la commune en 1870-71 et 1914, Bordeaux devient, à partir du 14 juin 40, la capitale de la France, pour la 3ème fois de son histoire.

Le gouvernement est hésitant entre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, depuis les bases de l’empire colonial, ou l’armistice.

De Gaulle est alors sous-secrétaire d’Etat à la Guerre, et vit mal les intrigues et concessions bordelaises.

L’autorité quasi nulle du Président de la République, Albert Lebrun, lui fait dire cette phrase tranchante : « Comme chef d’Etat, il ne lui a manqué que deux choses : qu’il fut un chef, et qu’il y eut un Etat ».

Au lieu de faire appel à De Gaulle, au poste stratégique de secrétaire du comité de guerre restreint, le gouvernement fait appel à un responsable bienveillant avec l’Italie Mussolinienne. Dans les coulisses, les fossoyeurs qui détestent la République, sont à l’œuvre.

Le général Weygand, catholique intégriste, proche de l’Action Française, Darlan et Laval s’activent en coulisses, par intérêt, par ressentiment, par haine des forces progressistes, pour porter Pétain au pouvoir.

Le 16 juin, le gouvernement Reynaud démissionne, le 17, la 3ème République meurt, la France, du moins une partie de la France, vient d’ouvrir le chapitre de ses heures les plus noires.

En cet été 40, la Résistance se résume à une centaine d’hommes. Sur les dizaines de milliers de soldats, revenant de l’expédition de Narvik ou évacués de la poche de Dunkerque, moins de 200 resteront avec De Gaulle, rejoints par les 124 hommes de l’île de Sein. Quelques hommes contre le régime totalitaire nazi, et une France livrée à l’extrême droite.

Le rapport de forces est saisissant. L’appel du 18 juin est un acte de bravoure, mais plus qu’une date, les mots du Général prennent date.

Ils créent un possible et refusent la résignation, et ils s’appuient aussi sur une intuition, que cette guerre sera longue, et que tous les pays finiront par s’y engager.

Cette vision prophétique fait partie de l’appel du 18 juin, j’ouvre les guillemets : « Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour, nos ennemis. »

Forcer le destin plutôt que subir l’outrage, voilà ce que ces hommes et femmes, isolés, souvent jeunes, pas encore organisés, mais tout sauf résignés, nous ont appris, au prix d’un immense sacrifice : leur vie de famille, et bien souvent leur vie tout court.

L’appel du 18 juin est un acte politique fort, un acte d’indignation et de réveil civique, citoyen, en forme d’ultime espoir.

Bien sûr, la résistance en France, ce n’est pas uniquement le visage de De Gaulle, c’est un pluriel de noms et d’actions. Jean Moulin, Germaine Tillion, les FTP MOI de Manouchian, les Justes, Guy Môquet, Lucie et Raymond Aubrac, les maquisards, les résistants d’origine étrangère, les anonymes.

Ce sont eux, dans des conditions extrêmes et de souffrances sans précédent, et bien souvent au-delà des clivages politiques, qui ont prolongé l’effet du 18 juin, jusqu’à la libération de 44.

A Londres ce jour-là, le 27 mai 43, naissance officielle du CNR, est loin, si loin, à peine imaginable. Et pourtant, la résistance est, là, embryonnaire, mais elle va croître, comme un organisme vivant.

Août 41 : les communistes développent rapidement, un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon. D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme.

1941, toujours, des représentants du Parti communiste et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943, qui scellent l’unité d’action dans la Résistance.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO créent un comité d’action socialiste (CAS), autant de structures qui augmenteront, après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom. Il y a des gaullistes bien sûr, fidèles d’une droite républicaine, des immigrés, des hommes et des femmes, issus de toutes les classes sociales, et de toute confession.

Sans le 18 juin 40, y aurait-il eu un 27 mai 43 ? Et sans le CNR, y aurait-il eu notre modèle social français, qui a permis à toutes les générations de l’après-guerre, de vivre dignement ?

Voilà ce que porte cet appel du 18 juin, la renaissance d’un pays et le retour de la France, dans le berceau de son histoire républicaine. Et cet héritage est inoubliable.

Je vous remercie.

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