Inauguration des locaux de l’association Pandora

Les mots sont comme les livres, si on ne les met pas en mouvement, ils prennent moins la lumière que la poussière. Il faut donc les libérer, les faire rimer, voire trimer, les fictionner et frictionner, s’aventurer avec eux les yeux ouverts, sans savoir où ils nous emmèneront. Toute forme de poésie a besoin d’un toit, pour rester nomade. Ici à Vénissieux, elle possède un lieu, un atelier, un laboratoire, notre caverne de Platon : l’Espace Pandora. Elle a besoin aussi d’hommes et de femmes, qui la portent, tout autant en eux, que vers les autres. Je remercie très chaleureusement l’ensemble de l’équipe de l’Espace Pandora, et son directeur-poète, ou poète-directeur, Thierry Renard.

Le verbe avec eux devient généreux et populaire, rebelle et joueur, subversif et jouissif. Mais surtout, le verbe, avec de tels passeurs, se fait partageur et partagé. Il est en marche et en action, il serre des mains, tape sur l’épaule, surprend, réconforte, intrigue, et sillonne les rues, pour aller rencontrer les habitants. Sur le fond, n’y a-t-il pas plus belle cause, que de défendre une langue dans son quotidien, dans sa modernité, dans sa pluralité ?

Entre l’Espace Pandora et la ville, il y a, j’en suis convaincue, cette passion commune, de sortir la culture de sa tour d’ivoire. Pas de surplomb, pas de lambris, pas d’afféteries, juste la volonté tenace de la diffuser, ici et maintenant, ici, et dans tous nos territoires, auprès de toutes les générations. Ce compagnonnage nous unit depuis 32 ans, depuis que l’association Pandora s’est implantée à Vénissieux. 32 ans, c’est bien plus que l’écriture du Temps perdu, par Marcel Proust, c’est un partenariat solide, fidèle, complice, indéfectible.

Echanges, rencontres autour des œuvres, de la langue, des auteurs, avec les habitants, dans tous les quartiers, voilà le travail de terrain et de proximité, que Pandora réalise. Elle y fait vivre la littérature, la poésie et l’écriture, parmi nous, en s’inscrivant en complémentarité avec l’ensemble de nos équipements culturels (la médiathèque, le théâtre, les arts plastiques, le cinéma, l’école de musique).

Je tiens à rappeler tous les temps forts, que l’association impulse : l’accueil annuel d’un auteur, en résidence à Vénissieux (Laura Tirandaz sera le 9ème auteur accueilli), et tous les ateliers d’écriture et interventions, dans les établissements scolaires. Je mentionne également l’organisation, depuis 4 ans, du jour du livre aux Minguettes, sans oublier les manifestations régionales, comme Parole Ambulante, ou encore Le magnifique Printemps, qui se déroulent dans plusieurs villes d’Auvergne Rhône-Alpes.

Non seulement l’association Pandora irrigue notre territoire, mais elle fait rayonner l’écriture, la création, et Vénissieux, au-delà de nos frontières. Son travail indispensable, son utilité publique, la richesse de ses actions, sont reconnus par notre ville bien sûr, mais aussi par d’autres partenaires, comme l’Etat ou la Région. A ce titre, une convention d’objectifs quadripartite va être signée, très prochainement.

La visibilité de Pandora est renforcée, par l’installation dans ses nouveaux locaux. La Place de la Paix devient, en quelque sorte, un carrefour du livre, avec de la poésie d’un côté, l’une des trois boîtes à lire, installées par la Ville et le fonds Decitre, et la médiathèque Lucie-Aubrac, qui veille à quelques encablures. De plain-pied, au cœur du centre-ville, le choix de ce lieu devrait favoriser et faciliter, l’accès de tous les publics. C’est aussi le point de départ de nouvelles actions de l’association : soirées avec un auteur, ateliers d’écriture, conférences.

D’autres sont en réflexion, voire en gestation, comme la naissance d’une bibliothèque poétique, qui favoriserait l’emprunt d’ouvrages par les habitants, ou encore la mise en place d’un espace de ventes d’ouvrages. C’est un véritable enjeu, car il n’y a pas de librairie indépendante à Vénissieux, comme c’est le cas bien trop souvent, dans de nombreuses villes populaires.

Avec Thierry Renard, avec toute son équipe, je sais que nous partageons la même envie, et le même besoin de faire vivre la culture, dans une ville populaire.

A quoi ressembleraient nos villes et nos quartiers, sans cette respiration, que permet toute forme de création ? Ils seraient plus morcelés, plus repliés, plus fermés. En temps de crise, la culture n’est pas seulement nécessaire, elle devient vitale. Faire vivre la poésie, c’est faire vivre la possibilité d’un autre monde, d’un imaginaire soustrait au carcan matérialiste, que l’on nous impose.

Vénissieux est à la pointe de ce combat-là, depuis des années et des années. Avec tous ses équipements, et son dernier-né « Bizarre ! », avec un budget conséquent, à hauteur de 9%, avec tout son maillage associatif, elle affirme, et surtout, ne cède pas sur son ambition culturelle. D’autres villes, je peux vous l’assurer, n’ont pas fait ce choix, et ont profité du discours libéral, pour sabrer les financements à la culture, soit par idéologie réactionnaire ou revancharde, soit par contrainte budgétaire.

Je vais vous donner un exemple concret des conséquences sur le terrain, d’autant plus opportun, qu’il concerne Pandora. La baisse de dotation de la Région, oblige l’association à réduire les résidences littéraires, de 3 mois à 2 mois. Nous sommes inquiets également, pour toutes les actions culturelles menées, dans le cadre de la Politique de la Ville, soumise à des restrictions budgétaires.

Inutile de se le cacher, ce que l’Etat a décidé d’imposer aux collectivités territoriales, avec à nouveau 13 milliards d’économies demandés sur 5 ans, est un véritable coup de fusil pour les politiques de proximité, et bien sûr pour la culture de proximité. Sous le quinquennat de François Hollande, des centaines de manifestations, festivals, ont déjà mis la clé sous la porte, faute de financement de l’Etat.

Pour un pays comme le nôtre, qui s’est construit par son patrimoine, par sa richesse et diversité culturelles, et par la pensée universelle du siècle des Lumières, ce sabordage est un contre-sens historique. Après la baisse vertigineuse des dotations, et la quasi-perte annoncée de la fiscalité locale, comment les communes vont-elles financer leurs politiques de proximité ?

Je ne peux pas, nous ne pouvons pas nous résigner, à cet abandon d’une culture populaire ambitieuse, au service de tous les habitants, de toutes les générations. Pas plus que l’on ne saurait se résoudre, à lâcher le monde de la création. Sans Pandora, il nous manquerait des mots et nos musiques intimes, pour redécouvrir notre monde et notre ville, sous un autre prisme.

Je crois que c’est Umberto Eco qui disait, je le cite : « Celui qui ne lit pas aura vécu une seule vie. Celui qui lit, aura vécu 5000 ans. La lecture est une immortalité en sens inverse». Alors à toi Thierry, et à vous espace Pandora, continuez d’écrire, et de nous révéler notre propre histoire commune.

Je vous remercie.

 

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