Colloque « Lire et faire lire »

… »Nous sommes une civilisation de l’écrit et du livre, par lesquels se sont transmis et se transmettent, le savoir, l’émancipation, l’imaginaire, et l’ouverture aux cultures. « …

Je remercie l’association Lire et faire lire de m’avoir invitée à ce colloque, à l’école normale supérieure de Lyon, car je considère l’enjeu de la lecture, comme un enjeu de société de toute première importance. Nous sommes une civilisation de l’écrit et du livre, par lesquels se sont transmis et se transmettent, le savoir, l’émancipation, l’imaginaire, et l’ouverture aux cultures. Dans toutes les périodes réactionnaires et totalitaires, le livre a été l’une des premières cibles à abattre, car son potentiel de libération, de subversion aussi, a toujours fait trembler les tyrans et despotes.

Le livre est la liberté, car il est l’esprit critique. C’est dire la place qu’il a occupée jusqu’ici, du moins jusqu’à l’avènement actuel d’un monde dématérialisé, numérisé, d’un monde de flux et d’écrans. L’un se substituera-t-il à l’autre, ou les deux coexisteront-ils, l’avenir nous le dira, mais nous devons garder en tête, que l’initiation et l’apprentissage de la lecture, dans un environnement saturé d’images, ne sont pas les mêmes qu’il y a trente ans. C’est un défi à relever, à n’en pas douter.

Mais je voudrais commencer cette intervention, en faisant appel à mes souvenirs de jeune Vénissiane. J’ai eu cette chance, dans une ville populaire, d’avoir accès au livre, à l’expression culturelle et artistique, à travers tous les équipements municipaux de l’époque. Ces possibles m’ont construite, ils ont jalonné tous mes passages, de l’enfance à la jeunesse, de la jeunesse à la citoyenneté, de la citoyenneté à l’âge adulte. Derrière ce mot  « chance », je ne réalisais pas, à l’époque, qu’il y avait en fait un autre mot, celui de « volonté politique » d’enraciner dans tous les quartiers, une culture populaire, démocratisée et à portée de tous. Cette vérité d’hier est restée la vérité d’aujourd’hui, car à aucun moment, la ville de Vénissieux n’a perdu ce fil rouge du vivre ensemble, par la culture de proximité, par la lecture des plus jeunes, par l’éducation et l’émancipation de la jeunesse, par un budget culture aujourd’hui encore de 8% !

Notre volonté ne s’est pas démentie, et la présence du livre s’est enracinée, encore un peu plus, dans notre ville. Nous n’avions pas, dans les années 70, une médiathèque, elle est désormais à la disposition des jeunes et de tous les habitants, depuis plus de dix ans. La Médiathèque Lucie-Aubrac, de l’architecte Dominique Perrault, avec ses surfaces transparentes, de plain-pied avec la rue, véhicule cette idée, que le livre s’ouvre à notre quotidien. Elle est accompagnée de 3 bibliothèques de quartier : 2 bibliothèques enfantines dans les quartiers des Minguettes, et une bibliothèque enfants et adultes, dans le quartier du Moulin à vent. L’accès aux documents et donc aux savoirs, est important, et gratuit jusqu’à 25 ans. Le réseau fait environ 170 000 à 180 000 entrées par an. Il faut aussi souligner la politique d’animation et de médiation culturelle, mise en place.

Plus spécifiquement sur la lecture, ou les interventions à voix haute, on peut citer des rendez-vous réguliers, comme Bébé bouquine, Raconte-moi une histoire pour les plus grands, de façon mensuelle, et régulièrement des contes ou petits spectacles, par des compagnies professionnelles. Vous avez déjà dû en parler, la lecture à voix haute est un enjeu de taille chez les tout-petits. Plus que le goût pour la lecture, elle crée un espace-temps exclusif, apaisé, créatif, un espace où le monde s’accorde à nos désirs. Reconnaissance des émotions, enrichissement du vocabulaire, donc de la structuration de la pensée, de l’espace et du temps, le livre n’est pas uniquement un moyen, il est un cheminement. Il ne s’agit pas de le sacraliser, ou le désacraliser, il faut le rendre accessible, le populariser, de façon à faire tomber les complexes ou les barrières mentales et culturelles. A ce titre, il n’y a pas de lecture noble, officielle, mais différents styles de lecture. La bande-dessinée n’est pas un sous-genre, c’est de la littérature, le polar, les biographies et la science-fiction, ne sont pas des sous-genres, c’est de la littérature. Plutôt que cloisonner ou segmenter, il nous faut donc inviter et éveiller.

Le maillage du territoire pour le développement des politiques culturelles, est ce qui fait vivre la littérature au quotidien, dans tous les quartiers. Il faut la volonté politique, le cap, et notre ville se donne les moyens de le suivre, et il faut la richesse et la pluralité des hommes, des femmes, du milieu associatif, pour faire vivre la culture, et surtout l’amener vers les habitants.

A Vénissieux, Lire et Faire Lire développe son action depuis 2014. Les bénévoles, en lien avec la DEE (Maisons de l’Enfance) et les directions d’écoles, interviennent durant les temps périscolaires méridiens et du soir. Les conventions signées entre la Ville et l’Association, encadrent les interventions des bénévoles, sur chaque site. Durant l’année scolaire 2016-2017, 20 bénévoles ont mené leur action, lors des temps périscolaires du soir, dans 13 Maisons de l’Enfance, dans une école maternelle, lors du temps méridien, et dans un centre social, pour les 0-3 ans. Cette action a concerné 2 533 enfants de 3 à 11 ans, dont 1 497 filles et 1 036 garçons, soit une augmentation de fréquentation de 14%, par rapport à l’année scolaire précédente. Le partenariat avec la Ville a permis de faciliter les interventions des bénévoles, au sein des différentes structures d’accueil périscolaire.

De façon complémentaire, il convient de rappeler que la Ville de Vénissieux, en partenariat avec le Fonds Decitre, a installé les premières boîtes à lire de l’agglomération, en 2014. 3 boîtes sont implantées dans 3 quartiers, et fonctionnent très bien. Les livres s’échangent, circulent. Il s’agit bien là encore, de contribuer à développer et démocratiser la lecture, ainsi que de créer des espaces d’échanges autour du livre, en ancrant le livre dans le quotidien des habitants, qui peuvent s’en sentir éloignés. La Ville apporte également son soutien à d’autres partenaires associatifs: centres sociaux, associations de proximité.

L’association Espace Pandora est, à ce titre, très active dans le champ de l’écriture, la lecture et la poésie. Avec la Ville, elle accueille un auteur en résidence, qui s’installe plusieurs semaines à Vénissieux, et va à la rencontre des habitants. Elle organise des ateliers d’écriture, et plusieurs temps forts, dont le Jour du livre, comportant des éditeurs, mais aussi des ateliers et lectures, auxquels participent Lire et faire lire, et de nombreux autres partenaires. Ces dispositifs montrent l’amplitude que nous voulons donner à la démocratisation de la culture, mais également à une démocratie culturelle vénissiane.

Dans les différents ateliers, dans les résidences, autour de nos manifestations, à l’école de musique, dans les ateliers arts plastiques, dans les équipements polyvalents jeunes, nous incitons les habitants, les jeunes, à s’exprimer, à s’initier, à créer. Une langue vivante est une langue que l’on pratique, dont on s’empare, que l’on malaxe, que l’on essaye, que l’on dégrossit, comme l’on taille une matière pour lui donner un volume. Ces démarches valorisent les Vénissians, et créent du lien social.

Nous devons en même temps rester vigilants, sur les frontières géographiques que le niveau de vie, d’éducation, la précarité, peuvent générer. L’accès au livre reste inégal, selon les milieux sociaux. 43% de la population de plus de 15 ans, n’a lu aucun livre en 2012. C’est le cas de 70% des ouvriers et agriculteurs, de 40% des employés, contre 20% des cadres, selon l’Insee.

Par ailleurs, dans un rapport de l’inspection générale des Bibliothèques, les inégalités territoriales sont pointées du doigt. 55% des communes, soit plus de 11 millions de personnes, ne disposent d’aucun lieu de lecture publique. Il existe encore plusieurs dizaines de villes de plus de 10 000 habitants, qui ont des bibliothèques très largement sous dimensionnées, voire aucune bibliothèque.

Les interventions de notre médiathèque auprès des détenus de la prison de Corbas, avec Pôle Emploi, et les associations pour les personnes en voie d’alphabétisation, montrent combien Vénissieux lutte contre ces fractures sociales et géographiques. La culture est une affaire politique, non pas dans le sens d’une uniformisation de la pensée, ou dans le registre d’une culture officielle en forme de propagande, mais dans son formidable potentiel d’aménagement de nos territoires, et dans sa faculté à rassembler des personnes, des œuvres, des cultures différentes, autour d’une émotion collective. Il n’aura échappé à personne, que ce sont nos politiques de proximité, qui font vivre la culture populaire au quotidien.

A ce sujet, les politiques d’austérité qui frappent les collectivités locales, comme le vivier associatif, alimentent les discours populistes, une démagogie malsaine, repoussant les sciences humaines au rang des priorités secondaires. Je m’oppose à cette vision d’une société déshumanisée, obnubilée par la seule quête matérialiste. Je peux, au contraire, vous dire que la ville de Vénissieux est fière de porter, haut et fort, le label « Ma commune aime lire et faire lire », reçu en 2017. Oui, peut-être même plus qu’ailleurs, le livre doit prendre ses quartiers dans les villes populaires.

Et je voudrais finir par un mot en forme d’invitation à la lecture, signé Tahar Ben Jelloun : « Une bibliothèque est une chambre d’amis ».

Je vous remercie.

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