Appel du Général de Gaulle

… »J’ai envie de dire que cette voix a surtout permis à la France, de rester la France, debout, présente, alors que la collaboration allait dévoyer son passé, et ses valeurs universelles. Acte de résistance et geste d’espoir, le 18 juin n’appartient pas uniquement à l’histoire, tant son message fort résonne encore dans notre présent. »…

Le Général de Gaulle aurait eu ce mot au sujet du maréchal Pétain, que je ne résiste pas de vous prononcer : « Travail, il n’a jamais travaillé. Famille, il n’a jamais eu d’enfant. Patrie, il l’a vendue aux Allemands ». L’histoire ne nous dit pas si ce trait d’esprit est vrai, mais il semble répondre, par contre, aux sarcasmes de Vichy, qui se moquaient de cet homme seul, en le dénommant « le Général micro ».

77 ans après, on sait, bien évidemment, que De Gaulle avait raison, que son geste instinctif de résistance, allait permettre à la France d’exister, puis de renaître, à la fin de la guerre.

Plus qu’une date, le 18 juin 40 prend date. En pleine débâcle, cette déclaration radiophonique croise différentes dimensions : un culot certain, un geste de résistance incroyable, l’espoir d’autres lendemains, et le pressentiment que cette guerre sera longue, mondiale, et que son sort est loin d’être scellé. C’est le pari de la France libre, de la victoire de la République sur Vichy, de la refondation sur la capitulation. Mais que ce pari, par la force des choses, sera tragique, sanglant et meurtrier, notamment pour les résistants de la première heure, les plus exposés aux représailles, dénonciations et tortures.

La petite histoire éclaire la grande histoire, sous un autre jour. Envoyé à Londres par Paul Reynaud, De Gaulle rencontre Churchill le 9 juin 40, pour obtenir un renforcement de l’aide britannique. Les deux hommes partagent la même analyse de la situation : les politiques d’apaisement à l’égard d’Hitler sont désastreuses, dans la lignée des accords de Munich. Alors que son cabinet est sceptique, Winston Churchill paraît lui, sensible au courage et à l’indépendance d’esprit, de cet homme isolé.

Au soir du 16 juin 1940, Paul Reynaud, président du Conseil, démissionne, et le maréchal Pétain, partisan de l’armistice avec l’Allemagne, est nommé à la tête du gouvernement. Dès le lendemain, De Gaulle s’envole pour l’Angleterre. Ce 18 juin, lorsqu’il entre dans les studios de la BBC, il est accompagné par une jeune assistante, Elizabeth Barker, qui le décrit ainsi : « J’ai vu un homme qui marchait à grandes enjambées, et parlait d’une voix grave. Il mesurait l’étendue de la catastrophe, paraissait calme, mais assez tendu. Je suis sûr qu’il ne distinguait personne dans le studio, rien que le micro, qu’il regardait fixement.»

Il n’existe aucun archivage de l’enregistrement sonore du 18 juin, celui qui a été conservé date, lui, du 22 juin 40. Les textes sont proches, les objectifs identiques. Il est intéressant de constater, qu’ils répondent successivement, aux discours du Maréchal Pétain sur le continent. Celui du 17 juin dans un premier temps, au cours duquel le chef du gouvernement français demandait de renoncer au combat, puis celui du 22 juin, jour de la signature de l’armistice franco-allemand.

Avec son appel, le Général de Gaulle se place donc en opposant direct, au gouvernement qui vient de capituler. L’histoire a fait du 18 juin, la première pierre de base de la Résistance française. L’interprétation n’est pas tout à fait erronée, mais le but de de Gaulle, était de s’adresser avant tout, aux militaires et aux industries de l’armement, pour que les combats reprennent et les efforts de guerre s’organisent, à partir du Royaume-Uni et des colonies de l’Afrique du Nord.

Écoutons cet extrait de l’appel du 18 juin, dont les objectifs sont clairs :  « Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre, et ne s’éteindra pas. »

En France, l’écho de l’appel du 18 juin est très faible, dans un pays en pleine débâcle, alors que son armée était considérée comme l’une des plus puissantes d’Europe.

Très peu de Français entendent De Gaulle, et seuls quelques journaux français, relaient l’information. Pourtant, un front du refus se dessine. Outre-Manche, ils sont quelques centaines, puis des milliers, à rejoindre les rangs de la France libre. Venant de Dunkerque, de Bretagne, traversant l’Espagne pour rallier les territoires de l’Afrique du Nord, ces hommes et ces femmes forment la résistance de la première heure.

Comment oublier par exemple, les marins de l’île de Sein, 133 pêcheurs âgés de 54 à 14 ans, qui quittent à bord de leurs bateaux, leur famille dès le 22 juin, quelques heures à peine avant l’arrivée des troupes allemandes, pour rejoindre spontanément l’Angleterre.

Après l’appel du 18 juin, la résistance est embryonnaire, dispersée, on est loin encore du Conseil National de la Résistance du 27 mai 43. Les mouvements et maquis ne communiquent pas entre eux, ne coordonnent pas leurs actions, à l’exception des Francs-Tireurs et Partisans, et des résistants communistes, plus structurés.

Dans ce cadre éclaté, le rôle des femmes est essentiel. Elles sont très nombreuses, dès 1940 et dans la France entière, à manifester dans la rue, à cause de la pénurie alimentaire. Derrière ce que l’on a appelé les « manifestations ménagères », devant les mairies et les préfectures, les femmes expriment à visage découvert, leur mécontentement, et demandent le déblocage des stocks de denrées.

Dès l’hiver 1941-1942, Vichy multiplie les représailles : les arrestations et les internements deviennent monnaie courante. En ciblant les femmes, le régime de Pétain tente d’atteindre l’un de ses plus grands ennemis de la collaboration, le Parti Communiste, qui soutenait ces «  manifestations ménagères ». La volonté du PCF était en effet, de donner naissance à un mécontentement populaire général de grande ampleur, contre l’Etat vichyssois. A travers une résistance du quotidien, les femmes remettaient fortement en cause, la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Entre la résistance armée, la résistance du mécontentement social, la résistance des justes, la résistance des sabotages et des maquis, des tremplins vont s’installer, des hommes et des femmes passer d’une forme de combat à une autre.

Dans le Nord, premier territoire touché par l’invasion allemande, les femmes sont, au départ, majoritaires (en 1940, 23% des femmes du Nord-Pas-de-Calais sont résistantes, contre 13% des hommes). Faut-il lire l’appel du 18 juin, comme l’acte de naissance d’une grande famille, composée de jeunes et moins jeunes, d’hommes et de femmes, issus de toutes les catégories sociales, d’immigrés, tous attachés à une idée fédératrice : la France est le pays de la liberté, pas de la soumission.

Refus de l’Occupation ; refus de l’armistice et de l’idée de défaite ; refus des mesures antisémites, restrictives, régressives et répressives : tous les résistants de l’année 40, hommes et femmes confondus, ont partagé ces convictions communes, et c’est cet instinct vital, qui les a poussés à se battre, contre des forces plus nombreuses, et plus armées.

La Résistance de la première heure, sera celle qui paiera le plus lourd tribut. Moins organisée, plus isolée, elle va faire l’objet de terribles représailles, tortures et déportations, de la part du régime de Vichy et des milices de Pucheu, ministre de l’intérieur à partir de 1941.

C’est l’histoire des petites rivières qui font les grands fleuves. Il y aurait eu, à n’en pas douter, une résistance sans l’appel du 18 juin, mais elle aurait certainement mis plus de temps à se mettre en place, plus de temps à se constituer, en tant que force de libération, puis force de proposition politique, à partir du CNR.

Derrière ce micro à Londres, une autre voix de la France, légitime, s’est levée et s’est fait entendre, en opposition à celle de Vichy, illégitime et illégale. Cette voix a permis à la France d’exister, auprès de ses alliés, d’exister hors de ses frontières, mais surtout de créer un choc, une émotion en forme de sursaut républicain, et de défense des libertés. J’ai envie de dire que cette voix a surtout permis à la France, de rester la France, debout, présente, alors que la collaboration allait dévoyer son passé, et ses valeurs universelles. Acte de résistance et geste d’espoir, le 18 juin n’appartient pas uniquement à l’histoire, tant son message fort résonne encore dans notre présent.

C’est cet esprit, que l’on retrouve dans la dernière lettre de Missak Manouchian, avant qu’il ne soit fusillé. J’ouvre les guillemets : « Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire, et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre, et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français, et tous les combattants de la Liberté, sauront honorer notre mémoire dignement. »

Je vous remercie.

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